Sommaire : 00 Présentation / Contributeurs 01 Philippe Forcioli - Éloge de Jacques Bertin et d’un rossignol 02 Philippe Geoffroy - Bertin face à quelques « canons » de la chanson 03 Philippe Blondeau - Formes brèves 04 Jacques Delivré - La dynamique des éléments et de l’espace dans les chansons de Jacques Bertin 05 David Jisse - La Musique dans les chansons de Jacques Bertin 06 Jacques Vassal - Jacques Bertin : naissance d’un style, genèse d’une œuvre 07 Entretien avec Jacques Bertin 08 Jacques Bertin aux « Rencontres de Tharaux » 09 Postface de Jacques Bertin - Du côté des arts modestes Télécharger cet article au format PDF Télécharger l'ensemble des articles au format PDF
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Jacques Bertin : passage en revue
Éloge de Jacques Bertin et d’un rossignol
La fin mai. La fin mai c’était. Un brave festival de chansons poétiques comme on aime, avec à sa tête un bonhomme étonnant, extravagant parfois, généreux et passionné, ramant contre vents et marées pour tenir à flot son petit bijou: une semaine complète de récitals, rencontres et conférences avec au cœur les derniers dinosaures, des poètes qui chantent ou des chanteurs chantant les poètes, et en français dans le texte s’il vous plaît ! Dans un petit village du Puy de Dôme, c’était fin mai1. Cette année là, l’association « On connaît la chanson »2 avait réuni Bertin, Bühler, Pierron, Solleville, Utge-Royo, Joyet, France Léa... Je faisais partie de la troupe des bouches fleuries et en avant la zizique ! Les spectacles et conférences se déroulaient dans une vieille ferme aménagée ; une salle de concert qui fut une ancienne grange et une immense salle à manger-cuisine où nous nous retrouvions pour les repas ou pour un pot en début et en fin de soirée, public et artistes ensemble, et bien sûr la cohorte de bénévoles, ouverts, heureux d’être là et aux petits oignons pour tous. J’ai eu le privilège de commencer la semaine en soirée avec Maître Jacques. À lui la première partie, à moi la fin de soirée. Nous avions devisé dans la petite loge à l’écart de la salle de spectacle, tous les trois avec Laurent son pianiste, trinqué à la vie, échangé les traditionnelles plaisanteries sur nos nullités respectives. L’heure avançant et le petit trac aussi, nous sortions régulièrement sur le balcon attenant pour saluer comme des empereurs le public qui se pressait ; des bonjours, des mises en boîte encore à haute voix... C’était fin mai, il y avait du lilas et du lys dans l’air, des hirondelles, il faisait doux, la salle serait pleine de monde, la promesse d’un grand bonheur au cœur confusément. Puis Jacques est descendu pour son tour de chant et je suis resté seul dans ma loge : j’entendrais son récital de loin, à l’extérieur, sur mon petit balcon, un verre de vin à la main. J’avais entendu pour la première fois cette voix belle, virile, humaine, dans une ruelle d’Aix-en-Provence. Elle s’envolait d’une fenêtre ouverte, moi Roméo sur le trottoir et ma Juliette à la dite fenêtre me faisant signe de monter. Rue de la Fontaine, la chanson était reine dans cette communauté libertaire et Bertin, prince des lieux. J’en aurai dévoré de toutes mes oreilles depuis « Corentin », « Fête étrange », « Permanence du fleuve » jusqu’à ce lumineux « Domaine de joie » qui demeure pour moi un des plus beaux ouvrages enregistrés en chansons. Comme cette voix nous parlait, me parlait, me portait, moi troubadour novice, sac au dos et guitare, cherchant mon chemin, l’étoile, la lumière et lui, loin, grand, mythique, une sorte de Bonaparte de la Parole et qui montrait l’ennemi et la vérité et la justice... Ah ! la belle harangue, ce chant profond, triste mais fier, noble, intègre, intelligent et fraternel... Puis la Gauche s’en est venue pour changer la vie comme il était écrit sur les affiches et très vite la révolte et le chant libre ont été engloutis dans les vomissures des après-banquets de la culture aux frais de la princesse, Mazarin, Mazarine, la Fnac a proposé deux bouquins d’Arthur Rimbaud pour le prix d’un seul (il faut être absolument moderne, n’est-ce pas ?) et Bruel et Renaud, gentils toutous à son tonton sont devenus les guides de la jeunesse en quête de justice, les milliards en plus... Triste époque, n’y pensons plus. Bertin lui, ça n’est plus une indiscrétion, a failli sombrer corps, cœur et âme pour les doux yeux d’une cruelle, car, et c’est une vérité pour hier, aujourd’hui et demain, « il n’y a pas comme une femme pour briser le plus beau des raisonnements » (J. Delteil). Naufrage. Au bout du naufrage une île ancienne et toujours vierge, la chanson. Sacré Maître Jacques. Son retour, comme je l’aurai espéré, demandé, prié, comme j’aurai à ma petite mesure avec d’autres, tout fait pour que son chant circule toujours. Je me serai disputé, fâché pour le faire connaître des ignorants ou des ingrats, pour que l’on considère le talent de l’œuvre et de l’homme, cet albatros, le plus talentueux des poètes-chanteurs lyriques vivants, le seul. J’en étais là de mes pensées sur mon petit balcon, un verre de vin rouge à la main, seul dans la nuit silencieuse, mesurant ma chance d’entrer bientôt sur scène en ayant bénéficié d’une « prometteuse vedette américaine » (ce sera ma plaisanterie préférée ce soir là), Mister J.B, ce grand monsieur tout simple. Son récital s’égrenait, j’entendais distinctement sa voix, le piano de Desmurs, les applaudissements. Puis vint le moment de « Madame à minuit, croyez-vous qu’on veille » de Bérimont qu’il chante à la guitare et qu’il conclue en sifflant une mélodie rare et, pour ce qui est de l’art de siffler, je peux affirmer et je m’y connais, que Bertin est un siffleur hors-pair. C’est juste, beau, inégalable, une vraie merveille ! Soudain, d’en face de moi, jaillissant d’un grand arbre, une musique fine, claire, sonore dans la nuit calme : un rossignol ! Oui, j’ai eu le privilège d’être témoin par les oreilles et jusques aux oreillettes du plus mélodieux duo qu’il me fut donné d’entendre. Le chant d’un rossignol s’entremêlant avec le sifflet si pur de l’artiste dont auquel il est question depuis le début ! Aucun poème ne saura dire la surprise, la beauté et l’extase musicienne que le hasard m’offrait. Cadeau plus que rare dans le reliquaire secret de ma vie chansonnière. Présent précieux, chanson inouïe, trésor inoubliable.
Parfum de lys et de lilas Profond silence Nuit de printemps Philomèle chante son amour Bertin siffle à la guitare La lyre triomphe Enfin.
C’était fin mai. La fin mai c’était.
Philippe Forcioli (2007)
1À Saint-Bonnet, près de Riom, en mai 2007. 2Le président en était alors Alain Vannaire.
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