Le Soleil (Québec)
6 décembre 2003

Le dernier des grands


 

L'harmonie du corps guide Jacques Bertin depuis des décennies


Jacques Bertin a beau être reconnu comme "un grand entre les grands" de la chanson française, l'homme reste frugal et l'artiste, modeste. Après une vingtaine d'albums et des dizaines d'années de métier, l'auteur-compositeur-interprète n'aspire plus qu'à se "promener de ville en ville, comme ça, un peu en dilettante, avec la certitude qu'à chaque escale, 100 ou 200 personnes me feront cadeau de leur écoute attentive, de leur meilleur silence".

C'est sans l'ombre d'un doute ce qu'il obtiendra, vendredi, samedi et dimanche, les 12, 13 et 14 décembre, aux Oiseaux de passage, comme ce fut le cas à chacune de ses visites à Québec, depuis longtemps.
"Je chante dans n'importe quelle ville de France ou du Québec, et je les connais si bien que je puis dire que dans telle salle, il y aura 150 spectateurs et dans telle autre, 200. Je ne demande rien d'autre que cette assurance, cette fidélité…et ce silence extraordinairement complice !" me dit-il, en entrevue.

Celui qui se dit "sans inquiétude" de ce côté, depuis une quinzaine d'années, a payé pour sa tranquillité d'esprit, en refusant d'entrer dans le système de ce que l'on nomme improprement l'industrie culturelle. "La distance entre moi et le "métier" est de plus en plus grande. L'industrie, je m'en fous, sinon je serais en crise d'épilepsie depuis 30 ans ! Je ne cherche pas, comme certains, à briser des records de vente ou d'assistance. Je produis mes spectacles et mes disques, et je m'en porte fort bien. D'ailleurs, je recommande toujours aux jeunes artistes de se rendre autonomes."

Jacques Bertin est tellement hors du système que devant le phénomène du piratage de disques par Internet, il déclare sans hésiter : "Ça ne me dérange pas du tout que l'on copie mes disques ! Tout cela me fait marrer, puisque cette pratique va tuer le big business avec ses propres armes. N'est-ce pas l'industrie qui vend ces machins sophistiqués qui permettent de tout recopier ?"
Jacques Bertin s'accommode bien d'Internet. C'est grâce à ce nouveau véhicule qu'il peut garder un fichier de clientèle pour l'aviser des lieux et dates de ses tournées. Internet lui permet aussi de vendre des disques dans des endroits inusités. Ainsi en est-il de celui qu'il a enregistré à sa dernière visite aux Oiseaux de passage et pour lequel il vient de recevoir une commande…du Vietnam.

"Je chante, je chante, je chante, arme de fous, armes de saints"(A la merveille). Jacques Bertin, lui, ne chante pas pour faire du fric. Pour lui, composer ou interpréter une chanson est un geste naturel. "Je dis souvent aux gens : vous devriez chanter plus, ça aide à l'harmonie du corps. Chanter est sain et utile à l'être humain. Pour ce qui est de l'inspiration, je ne cours jamais après. S'il fallait chercher les idées, je n'aurais jamais fait ce métier. Chanter est pour moi une chose normale. D'ailleurs, je n'ai jamais cherché à avoir mon style à moi…"
Jacques Bertin a connu "la grande époque" de la chanson française, dans les années 50 et 60, "la chanson que les gens écoutaient par goût, et non parce qu'ils subissaient un matraquage. Puis vint l'invasion barbare américaine. Quand nous étions jeunes, nous étions contre l'industrie culturelle. Il a fallu que ce soit un gouvernement de gauche, dans les années 80, qui opère la réconciliation de la culture avec le big business, sous prétexte d'aider l'industrie culturelle nationale à se défendre. A entendre nos gouvernants, il fallait être con en français pour pouvoir lutter contre les cons en anglais !"

Régis Tremblay