Toulouse (récital 27 novembre 2010)


Esprits nomades

 



 

 

 


Bertin : L’homme assis debout

 

Revoir Bertin sur scène, c’est comme aller chez le garagiste pour faire vérifier sa bagnole. Pour constater qu’on n’a pas besoin de la changer, qu’elle a encore du coffre, que les batteries sont un peu usées mais toujours aussi efficaces et qu’on a bien fait de rester fidèle à la marque.

Revoir Bertin sur scène, c’est traverser sa vie et la nôtre en acceptant que ce soit lui qui conduise. On s’est trompé de route avec lui, on est revenu sur nos pas, on a fait des détours sur des lieux d’enfance, des amours anciennes, des livres poussiéreux, des biefs sans toujours trouver les écluses. On s’est engagé dans des voies peut-être sans issue, mais on fait comme si on ne s’en rendait pas compte. On roule à jamais dans la nuit, le désert. On le sait depuis que l'on est parti : il n’y a pas de GPS sur la carte du tendre et de l’utopie. Il n’y a qu’une fidélité au trajet, du lyrisme coincé dans la boîte à gants.

Revoir Bertin sur scène, c’est accepter ses bornes et ses balises, ses erreurs et son orgueil, ses distances qui nous rattrapent, ses présences qui nous bouleversent. Et même si l’on trouve son passé un peu trop long, on rit toujours de bon cœur aux ornières et aux cahots de sa mémoire. On avance, accompagnés par de vieux amis routards, quelquefois perdus de vus, des voyageurs aux valises blanches qui semblent rouler obstinément dans le même sens, sans doute vers le même endroit.

Car Bertin fait du bien à notre carte. Il roule pour nous, toujours assis dans sa propre voiture. C’est pour cela qu’on l’a aimé jadis et c’est pour cela qu’on l’aime encore et pour toujours. Parce qu’on sait que lorsqu'il se sera définitivement garé quelque part, du côté de Chalonnes ou d’ailleurs, il y aura toujours quelqu’un pour récupérer sa bagnole avant qu’on la mette à la casse.
Près de la lampe du tableau de bord, il nous aura laissé ses clefs qui étaient un peu les nôtres.

 

Bruno Ruiz
 
Toulouse, 29/11/2010


Jacques Bertin, plain-chant pleine vie

 

Jacques Bertin chante profond dans un monde qui ne veut entendre que l’écume non pas des jours, mais des insignifiances. À ceux qui se laissent bercer par le vain divertissement sans vouloir soupçonner l’abîme du temps, ce temps compté, le chant de Jacques Bertin restera à jamais inaudible.
Aux autres, soulevés par le désir de vivre fraternellement et naviguant dans la mer immense de la fidélité, celle allée hors de son amertume, Jacques Bertin permet par ses poèmes à nos rêves de retomber dans le monde, de s’y incarner par sa voix.
Non Jacques Bertin n’est pas une nostalgie, si ce n’est celle de l’éternité. Non Jacques Bertin ne chante pas triste, il chante juste à hauteur d’homme :
Je ne fais pas des chansons tristes
Je ne fais que des chansons d’homme. (Des chansons d’homme dans Comme un pays).

Ce sont bien des chansons d’homme, s’adressant à la belle part d’humanité en nous, non encore réduire en servage, par le décervelage insensé de l’époque. La beauté du monde, la beauté de la poésie sauve pour lui le monde. Jacques Bertin est effrayé par l’oubli du passé, des leçons de l’histoire par nos contemporains. Par l’absence de curiosité des gens, par l’oubli des paroles essentielles pour des mots vides et inoffensifs qui tissent ce quotidien toujours dans l’urgence du dérisoire. On retrouve au-delà « des deltas amers » de la vie, ses thèmes de toujours : l’amitié, la fidélité, les souffrances passées, l’attente, les amours qui ont bifurqué, les livres ferment de notre être, le temps qui cogne, les oubliés, les humbles, ceux qui ont su vivre debout et que l’on a poussé dans le fossé de l’histoire.

Malgré « les essieux brisés » des rêves et des illusions envolées, Jacques Bertin veut semer quelques graines d’espoir, et affirmer que non tout n’aura pas été vain. Jacques Bertin a bâti une œuvre qui restera, vibrante, tendre, parfois mélancolique, toujours à hauteur d’espérance malgré le vent mauvais des jours, et toujours profonde. Quand tant de fausses valeurs s’effondreront un jour, il demeure, pour moi, comme le poète-chanteur le plus important de son époque. L’homme de la « bonté dressée » et de la ferveur, du chant des hommes en somme.
Si parfois passe du silence résonne dans sa voix, c’est pour nous laisser un passage pour la fin de nos errances, pour nous aider à respirer la couleur des nuages. Il nous semble que Jacques Bertin se souvient de nous. Il est à jamais « notre vieil ami » qui nous aide à construire une maison au fond de nous. Il reste ses chansons et elle nous aide à vivre dans un monde en gésine.

Ses chansons comme un pays :
Du chant versé d’un verre
Sur le pays sa lumière
Sur ses fumées et ses hiers
Sur sa grandeur et sa misère
Je suis de mon chant mon chant comme un pays
Je suis du chant comme d’un pays…
(Comme un pays)
 

Même si le temps devient de plus en plus friable et se dépayse en nous, il reste ses chansons tremblantes d’humanité, chemins de traverse vers toutes nos mémoires. Là où l’enfance reste en suspens, là où le bleu rejoint la mer, là où les amours jamais ne finissent, là où se cachent encore nos tendres invisibles. Le ciel d’avant sans doute.
Jacques aujourd’hui, demain, nous resterons groupés, et autour du feu de bois de ta voix, nous toucherons les étoiles qui montent de la terre, et la tristesse s’envolera comme fumée.
C’est vrai que l’on a vécu.

Gil Pressnitzer
 
Toulouse, 30/11/2010