La Charente Libre Mardi 19 avril 2005 |
Jacques Bertin par les chemins creux A l'écart des grands circuits, le chanteur Jacques Bertin poursuit son parcours poétique et intelligent. Il chantera vendredi à Moulidars. "Beaucoup de chanteurs célèbres devraient mourir de honte en entendant Bertin". Cette citation d'un journaliste québécois classe tout de suite Jacques Bertin. La soirée proposée vendredi à la ferme-théâtre de Moulidars, qu'anime la chorégraphe Renata Scant sera pour certains l'occasion de retrouver - et pour d'autres de découvrir - ce chanteur qui, dès 1967, a repris le flambeau d'une chanson dite "à textes", poétique, des mains de Brel, Brassens ou Ferré. Passé à la moulinette du star-system, il a été, comme il le raconte, "poussé vers la sortie". Sans jamais cesser d'écrire, de sortir des disques et de tourner. Même si les circuits traditionnels se sont raréfiés. Rédacteur en chef adjoint de Politis jusqu'en 2001, collaborateur de Policultures, Jacques Bertin vient de publier un nouveau recueil de poésie, et travaille sur un nouvel album pour l'automne prochain, après "La jeune fille blonde" sorti en 2002. Jacques Bertin reviendra en Charente cet été. Il sera l'invité, deux soirs durant, de la Maison du comédien, à Alloue. Quel regard portez-vous sur la nouvelle scène française ? Jacques Bertin : J'ai de la sympathie pour beaucoup parmi cette génération de jeunes gens qui essaient de faire de la scène de manière honorable. Ce que je leur reproche collectivement, c'est qu'ils ne chantent pas. Ils font des petites chansons décrivant des petites scènes, avec des petites scènes… On a le sentiment qu'ils sont tellement sans ambition, sans prétention. Pas de grands sentiments… l'histoire, la mort, le grand amour, même pas ! Ils sont honnêtes, intègres, mais ils n'ont pas la prétention de chanter. Quand vous entendez Leclerc, Ferré ou Brel, vous avez le sentiment tout de suite qu'ils sont aux prises avec les grandes choses. Ça chante, ça vibre. Qu'est-ce qu'une chanson pour vous ? J.B. : Je n'ai jamais pensé faire "une" définition de la chanson. Il est clair que la chanson, c'est le lyrisme, la vibration, non seulement des cordes vocales, mais de l'être humain. La chanson, c'est ce qui nous envoie au plus profond de nous-mêmes. Une thèse a été écrite sur vos chansons, un de vos textes est dans les manuels scolaires… quel sentiment en retirez-vous ? J.B. : Je trouve tout à fait extraordinaire surtout d'avoir commencé à être un chanteur en 1967 et de l'être toujours en 2005. Ca n'était pas écrit dans le ciel. J'ai rencontré en 1967 beaucoup de gens qui étaient artistes ou souhaitaient l'être. Moi en 2005 je le suis toujours, par les chemins creux, par des petits itinéraires difficiles et compliqués. C'est tout à fait sensationnel. Après, méconnu, reconnu, pas connu… c'est la vie qui est comme ça. Peut-être pas connu du grand public, mais sacrément reconnu… J.B. : Il n'y a évidemment aucune reconnaissance officielle, institutionnelle, médiatique, mais effectivement, je sais que si je vais chanter quelque part, il y aura du monde. Il y a un public. Quand on est un peu lucide, on voit bien qu'on peut dire dans un livre, dans un journal que vous êtes un grand monsieur, mais ça n'est pas pour autant que vous l'êtes. Il faut être modéré dans l'appréciation qu'on a de soi-même. Combien de grands messieurs d'il y a 30 ans sont complètement oubliés. A vos débuts, en 1967, des émissions comme Pop Star ou Star Academy auraient existé, y auriez-vous participé ? J.B. : Ah non, certainement pas. J'ai toujours été un militant
contre le show-business. Je pense que c'est un système d'aliénation
des gens qui devrait être combattu en permanence. On peut reprocher
aux artistes et au milieu culturel de laisser faire ça. J'ai dit
plusieurs fois par boutade - mais je pense que ça résume
la situation - qu'on a arraché l'éducation des enfants
à l'église catholique parce qu'elle était supposée
réactionnaire et tout ce qu'on veut, et on l'a confiée à
TF1. C'est nettement mieux bien sûr… Je ne suis pas catholique à
l'heure actuelle, mais on m'a appris à l'école catholique,
par exemple, la haine de la médiocrité. On ne peut pas dire
que j'entende ça sur TF1…
Philippe Andréoulis |