Mémoires de Jeanne et Jules Bertin

 

1) Mémoires oraux de Jeanne Bertin

Jeanne Bertin est la mère de Jacques Bertin. Cet entretien a été réalisé en 1986, pour le bulletin du club du troisième âge de Chalonnes-sur-Loire (Maine-et-Loire). Jeanne Bertin, née en 1919 à Torfou (Vendée), est décédée en 2009. Son mari, Jules Bertin, né en 1920 à Guignen (Ille-et-Vilaine), est décédé en 1981.

P : - Pourquoi Marie-Jo (Marie-Jo Meslet), en parlant de la JOC (Jeunesse Ouvrière Chrétienne), a-t-elle parlé de vous ?

JB : - Marie-Jo a été à l'origine de la JOC. Moi, je suis arrivée à Chalonnes autour de 1936. J'étais une fille d'un bourg vendéen. J'étais très diable ; je n'apprenais pas beaucoup à l'école ; alors mes parents avaient fait l'effort de me payer deux années de pension, à Montaigu, en Vendée. Je n'ai eu que mon certificat d'études car à 12 ans, on travaillait, à cette époque-là. Je l'ai eu dans les temps, mais comme ça ; parce qu'avec ma maîtresse, dans mon petit bourg, on ne s'entendait pas tellement. Maman n'avait pas été beaucoup à l'école et voulait que ses enfants aient leur certificat d'études. J'ai été la seule de la famille à être allée en pension.

Dans mon petit bourg, il y avait beaucoup de pratique religieuse - mais il y avait beaucoup de routine, peut-être. J'avais dix ans quand je suis partie. Je me rappelle de ma communion solennelle. On avait une retraite très bien faite, très pieuse. On se promenait avec les religieuses, le dimanche. Quand il y avait des morts, on allait dire un chapelet auprès du mort ; si bien que je n'ai jamais compris qu'on empêche les petits enfants d'aller voir les morts. Moi, j'ai été habituée toute petite, personne ne nous obligeait. On nous disait : on va dire un chapelet ; y allait qui voulait ; celles qui n'aimaient pas ça se mettaient derrière le groupe et les autres devant...

Quand je suis partie de la Vendée, je suis allée à Montfaucon (Montfaucon sur Moine - 49) où on est resté deux ans à peu près. Mon père travaillait par là. J'avais une fringale d'aller au bal, parce que je n'avais probablement jamais vécu dans les pays où il y en avait, j'avais envie de danser !

Je revois Marie-Jo, qui m'invitait... On se balade un peu, on se raccompagne mutuellement, et puis un jour, elle me dit : "Tu devrais venir à la JOC !". Ou plutôt : "Vous devriez...", parce qu'elle me disait vous, à l'époque. Je lui ai répondu : "Oui, mais moi, je veux pas qu'on m'empêche d'aller au bal !"

On a commencé les réunions. Des permanents d'Angers venaient régulièrement nous faire des réunions. Et puis on a été affilié, comme on disait à l'époque, c'est-à-dire : avoir l'insigne.

J'ai été présidente de la JOC jusqu'à mon mariage. Des fois, j'y pense, je ne sais pas si je referais ça maintenant. Avant, je travaillais dans des fabriques de blanc, c'est à dire des édredons, des enveloppes d'édredon, des taies d'oreiller et des draps. Après je suis allée dans la chaussure. Une année, on nous a demandé de faire arrêter les machines le jour du Vendredi saint à trois heures. Quelqu'un a dû venir avec moi... Je ne sais pas si vous imaginez, une petite ouvrière, devant un M. Schmitt très impressionnant. Je me rappelle, un jour, j'avais perdu quelque chose et j'ai dit : "Je ne trouve pas !" -Eh bien, mademoiselle, tant qu'on n'a pas trouvé, c'est qu'on n'a pas cherché. C'était un monsieur impressionnant d'abord, très estimé et très estimable, et qui en imposait beaucoup. Et, aller au bureau demander que les machines... Et, attendez, non-pratiquant - je n'ose pas dire athée. Et ses enfants pas baptisés, puisque sa fille a été baptisée très tard, pour se marier. Et alors, aller lui demander d'arrêter les machines pour faire une minute de silence à trois heures, le jour du Vendredi saint !

P. : - Comment avez-vous été reçus ?

JB. : - Je ne sais plus. Je ne me rappelle pas des détails. Il a dû me dire : "On va voir". Et puis après, j'ai vu une affiche placardée et ce qu'il y avait, je ne sais plus : A la demande de la JOC... Maintenant, quand j'envisage ça, je me dis : mais comment j'ai fait ?

On était gonflé. Il y avait plein de gens qui ne pratiquaient pas ; il y avait de tout. Ben oui, on a fait ça. Par la JOC, qui marchait bien, qui nous apporté beaucoup, beaucoup.

Et puis, on avait le père Sourice. C'était notre père curé, qui était quelqu'un de très très bien et qui savait nous prendre, qu'on aimait et qui était bon, qui était la bonté même.

Alors, c'est ça. C'est sûr que c'est la JOC qui nous a formés. Entre 17 et 23 ans. Je me suis mariée à 23 ans. J'avais fait un petit peu de syndicalisme, avant... Les réunions... C'était pareil...

P. : - Votre mari était de Chalonnes ?

JB. : - Il était de Guignen, en Ille-et-Vilaine Il devait avoir dix ans quand son père est mort. Il apprenait très bien, à l'école. Il avait comme grand copain l'actuel Préfet du Maine-et-Loire, Louis Morel (Il fut aussi directeur des Renseignement Généraux, sous Giscard d'Estaing.) Il est venu à notre mariage, d'ailleurs, parce que c'étaient des copains d'enfance du même bourg. Lui, il est fils de garde-champêtre, pupille de la nation...

L'instituteur a dit à la mère de mon mari qu'il faudrait qu'il aille à Rennes, continuer ses études. Et sa mère, qui était veuve, a dit qu'elle ne pouvait pas payer. A la messe du bout de l'an (cérémonie réunissant les proches du défunt un an après le décès), son oncle, qui était tailleur, dit à sa mère : "Eh bien, qu'est-ce que tu vas faire de ton gars, maintenant ?" " Je ne sais pas. On va tâcher de lui trouver quelque chose..." Alors, il dit : "J'ai besoin d'un apprenti."

Voilà l'orientation professionnelle de l'époque. Je crois qu'il est parti le jour même. A trente kilomètres de là.

Il faisait de la JAC, lui. Il en a fait à tour de bras, lui aussi. Il aimait. Il y avait le curé du coin, aussi. Il avait commencé à apprendre le latin ; ça l'intéressait. Il en a fait beaucoup, de la JAC. Il était "président de secteur".

Il était chez un oncle, mais moins bien que s'il avait été chez un patron ! Il a passé des nuits et des nuits à coudre. Et il cousait à une vitesse vertigineuse. Il aurait voulu que je l'aide un peu à coudre, mais moi, j'aimais guère ça. Et il allait si vite ! Je n'en voyais pas bien la nécessité. Donc, il a été tailleur chez cet oncle - qui était très dur pour lui-même. Cet oncle avait été gazé à la guerre de 14. Il disait qu'il l'avait vu bien des fois se lever de la table de tailleur, aller vomir - parce qu'il avait une maladie de l'estomac - et aussitôt revenir travailler. Il était dur pour tout le monde.

Mon mari allait faire de la musique, du clairon, du tambour. Le patronage était juste à côté. Mais le soir, il fallait travailler, après le repas. Il remontait à l'atelier et il travaillait. Tous les gars venaient s'amuser à jouer... Quand la première marche était jouée, son oncle lui disait : "Tu peux y aller, maintenant." Il y allait et il revenait après...

Pour les jours de communion, vous savez, tout le monde s'habillait. il fallait que les choses soient prêtes à temps. Il travaillait le samedi matin et le dimanche matin. Il nettoyait l'atelier le dimanche matin, il allait à la messe ; et l'après-midi, il allait livrer les costumes, les paquets... Jusqu'au jour où il s'est rebiffé. Ça, il en a toujours parlé. Son vélo était crevé. Son oncle - ou sa tante, elle était encore plus dure ! - dit : "Tu vas aller porter ça dans telle ferme !"

Il a refusé d'y aller. Et il paraît qu'on ne lui a plus jamais demandé, après. Il avait 16 ans.

Le dimanche matin, son plaisir, c'était deux brioches. C'était là que passait son argent de poche. Quand il était payé, il allait chez sa mère en vélo. Sa mère tenait un petit café dans le bourg de Guignen, où il y avait je ne sais combien de cafés ! Tout le monde tenait un café... Les bonnes femmes allaient boire leur bolée de cidre, ce qu'on n'a jamais vu, ce que je n'ai jamais vu, ni en Vendée, ni par ici.

Dès qu'il n'y eut plus de travail chez son oncle, du fait de la guerre (les gens ne s'habillaient plus, il fallait des tickets pour tout...), il est allé travailler comme débardeur à l'Economique (société de distribution de produits ménagers et alimentaires) de Rennes, en cherchant du boulot. Un mois après, il en a trouvé - à Château-Gontier. Puis à Saint-Lô, comme chef d'atelier. Puis à Châteaubriant. Puis de là, à Chalonnes. Il racontait toujours que, lorsqu'il est arrivé à Château-Gontier, avec des horaires normaux, finissant à sept heures du soir, il n'en revenait pas !

On s'est marié en 42, ici. Puis, à la fin de la guerre, on est parti à Rennes.

On est allés voir le curé de la paroisse Saint-Etienne et on s'est présentés : "On est deux anciens militants, et s'il y a des mouvements, on aimerait en faire partie."

Il est devenu président de l'Association diocésaine des hommes. Il faisait partie de la Conférence de Saint-Vincent de Paul. J'avais déjà trois ou quatre enfants... Ils se sont mis à construire des maisons parce que suite aux destructions de la guerre, il y avait des gens mal logés. Un jour, les conférenciers de St-Vincent de Paul ont dit : "On va dans cette famille, les enfants sont malades, l'eau suinte de partout, les logements sont affreux." Il y en avait un qui était couvreur et qui a dit : "On pourrait leur faire des baraques, des maisons !"

C'est comme ça que c'est parti.

Alors quelqu'un a donné le terrain. Ils ont fondé une association : l'Association de lutte contre les taudis (voir aussi, sur ce site, rubrique Les Orpailleurs, Une chanson sociale : Les petits enfants des taudis). Ils ont construit cinq maisons en parpaing - qui n'existent plus. Il allait aux réunions le dimanche matin et dans la semaine, il allait visiter les chantiers.

Quand j'ai passé mon permis de conduire, il y a quelques années, après la mort de mon mari, avec mon moniteur, on était dans le quartier de La Touche, à Rennes. Je lui ai demandé la permission et je les ai cherchées. Eh bien elles ont été abattues. Mais ces gens-là y ont habité plus de 20 ans. Puis ils ont été relogés. Elles n'étaient pas belles. Mais ils avaient dépanné cinq familles, comme ça !

Ensuite, ils ont souhaité la bonne année à Monseigneur Roques, l'évêque de Rennes. Il les a félicités et leur a dit : "Vous avez fait ça sur la paroisse Saint-Etienne, mais si toutes les Unions paroissiales de Rennes se mettaient ensemble et construisaient ensemble des maisons pour d'autres ?" Et les voilà repartis ! Et c'était Bertin qui était le président sur le plan de la ville...

A ce moment-là, nous étions installés rue du Tourniquet. Il avait deux ouvriers. On commençait à voir que la confection (fabrique industrielle - par opposition au " sur-mesures ") prenait de l'ampleur et que les petits tailleurs de campagne disparaissaient. Jules dit : "Si on formait une coopérative de tailleurs, on pourrait avoir une maison-mère, un genre de grossiste, qui aurait tous les modèles, toutes les tailles." Car un tailleur de campagne ne peut pas faire de confection, ça nécessite trop de stock. Donc il y aurait une maison centrale qui aurait le stock et un camion passerait chaque jour chez tous les tailleurs qui vendraient eux-mêmes, au lieu que les gens viennent en ville, acheter leur confection. Le tailleur ferait les mesures pour ceux qui peuvent encore se le payer ou qui sont trop mal bâtis. Et il ferait les retouches des confections.

Alors, le voilà embarqué là-dedans. Ils ont formé la coopérative de tailleurs - qui marchait bien. Pour avoir des sous, il avait fallu mettre dans la coopérative un jeune qui avait hérité d'une riche grand-mère...

Et en même temps continuait l'histoire des maisons. Des entrepreneurs donnaient du sable, offraient le transport, tout le monde était dans le coup. Toutes ces Unions paroissiales, au début, ont été tout feu tout flamme. Les jeunes du collège Saint-Vincent venaient faire des parpaings ! Ils avaient désigné les bénéficiaires de ces maisons pour les encourager, alors ceux-là venaient davantage. Ils savaient qu'ils auraient une maison, ils amenaient le beau-frère, le cousin. Il y a eu des docteurs, des professeurs... Mais quelquefois, il s'est trouvé seul avec les bénéficiaires...

27 maisons. Je ne sais pas si vous vous représentez ce que c'est. Après cela, ils voulurent fonder une coopérative, pour élargir l'entreprise. Monsieur Bernier (le patron des établissements Vaslin, à Chalonnes, construction de pressoirs à vin) expliqua qu'ils n'avaient pas intérêt à fonder une coopérative, parce que c'est toujours très long. Il valait mieux en prendre une existant déjà mais en sommeil, avec des statuts déjà rédigés. Ils ont donc lancé la coopérative de HLM de Rennes. Ils ont commencé dans une petite pièce. Avec une table en bois blanc et deux chaises. Puis tout a pris de l'importance. La coopérative a ensuite construit des milliers de logements. Mais Bertin n'était plus dans cette coopérative.

On a failli y aller un jour ! Car mon mari s'est trouvé sans travail, à la suite de cette affaire de coopérative de tailleurs. On était alors locataires d'une belle maison (6 rue Coulabin, à Rennes), qu'on avait trouvé trop grande pour nous seuls et on en avait donné une partie à ma sœur. Cette maison a été mise en vente et mon mari, pour ne pas embêter le propriétaire, s'était engagé à partir pour qu'elle soit libre à la vente. On ne pouvait pas l'acheter. On a demandé à la coopérative, mais il n'y avait pas de logement pour nous. Alors l'abbé Jaillier, curé de Saint-Etienne, qui avait été un temps journaliste et directeur des Nouvelles de Bretagne a dit qu'il allait faire un article disant que Bertin avait logé plein de familles et qu'il allait se retrouver à la rue ! Au journal Ouest-France, ils n'ont pas voulu le passer. Finalement, la coopérative nous a trouvé quand même un logement, une maison qu'on a habitée deux ans (163 bis rue Leguen de Kérangal, à Rennes), en attendant que des gars viennent trouver mon mari pour faire le castor.

On n'avait pas d'argent. Et chez les castors, l'apport d'argent qu'on n'avait pas, on le faisait en travail. On a donc construit notre maison avec les castors. J'ai encore cette maison-là, à Rennes (16 rue Jean Coquelin - elle fut vendue plus tard).

Il a cherché du travail. Il a été un temps employé à la coopérative mais il n'était pas très à sa place, là-dedans. Alors, il a fait représentant. Il a vendu du saucisson Olida. Puis il s'est mis dans la machine agricole.

Bernier lui a proposé de travailler pour Vaslin. Ils voulaient lancer les pressoirs pour les pommes. Ils ont essayé deux ou trois ans et ils ont vu que, pour des raisons techniques, ça ne marcherait jamais. Monsieur Bernier a alors dit qu'il lui fallait un représentant à Bordeaux. Mais ça ne lui plaisait pas d'y aller, parce que c'était pendant qu'il faisait le castor ! Alors il s'est lancé dans les tracteurs Mc Cormick. Puis une autre marque, qui le payait très bien et où il vendait très bien, mais il y avait une clause de non-concurrence avec Mc Cormick ! Puis on lui a offert une bonne place chez Renault-agriculture. Un très beau salaire. Avec nos six enfants petits... en chômage... Mais il me dit : "Non. Moi, je veux partir à cartes multiples dans l'agricole". C'est ce qu'il a fait. Il a repris la route avec une vieille voiture. Il a vendu des tonneaux à purins, des clôtures électriques... Il a pris des cartes et éliminé les moins bonnes. Puis il a commencé chez un bourrelier de Sablé qui avait conçu une cabine de tracteur pour mettre à l'abri les paysans. Il avait fait quelques foires et mon mari est allé le trouver. Il m'a dit : "La première fois que je l'ai vu, il était assis sur le trottoir, en train de carder de la laine ; je lui ai dit : ça ne vous intéresserait pas d'avoir un représentant ?" Et il est parti avec ça, la carte des cabines. La première année, il en a vendu très peu. La deuxième année, il en a vendu beaucoup plus. Et il en a vendu beaucoup, beaucoup...

FIN


 

2) Mémoires écrits de Jules Bertin

Né en 1920, à Guignen (Ille-et-Vilaine), Jules Bertin est décédé en 1981. Il avait entrepris d'écrire ses mémoires. Le texte est resté inachevé.


" Nuits de Chine - nuits câlines - nuits d'amour "...

Aussi loin que remonte ma mémoire, c'est cette chanson sifflée dans la rue sous ma fenêtre, par un beau matin de printemps, qui me revient. Des rayons de soleil pénétraient la grande chambre. Il devait être déjà 9 heures. Comme tout me paraissait beau ! Que la vie devait être belle...

Un vague souvenir me reporte un peu plus loin dans le temps, je devais avoir 3 ans ou 3 ans ½. La grand'mère "Houyère" (les Houyère étaient nos voisins) avait dû m'emmener avec elle garder la vieille chèvre le long d'un talus, face au cimetière, à deux cent mètres environ de chez nous. Outre la chèvre, nous devions garder Alfred Houyère, de trois ans moins âgé que moi. Alfred devait dormir bien sagement dans le grand landau de l'époque. Mais ce souvenir est très vague.

Donc la vie me semblait belle, belle, en ce matin de printemps, dorloté par mes parents, par la tante Marie-Ange, par la bonne, par le commis. Tout me semblait beau, dans mes jeunes années et tous les souvenirs remontant à mes quatre ans, cinq ans, six ans me sont attendrissants ! ...Les promenades au jardin avec mon père, les après-midi passés avec Grand-père dans la vieille maison qu'il occupait, juste derrière chez nous, les bêtes que je découvrais à l 'écurie (j'y reviendrai...) et les veillées d'hiver. Je me revois m'agrippant aux cuisses de papa, lui, assis au coin du feu, ses genoux étaient presque aussi hauts que moi et c'était un exercice qui me plaisait que celui de monter à cheval sur les grosses cuisses...

C'est plus tard, vers 7 ou 8 ans que mon beau rêve disparut en partie. Dès lors, en effet, je réalisais que tout n'était pas rose dans la vie. Mes parents ne devaient pas être riches, témoins en effet ces scènes entendues, ces poussées de colère de Papa, ces gémissements de maman et cette boîte de carton dans le tiroir du buffet où ne se trouvaient que quelques rares billets...

Les bouchers de cette région d'Ille-et-Vilaine, outre l'abattage par semaine d'une vache, de deux veaux et d'un cochon, achetaient et expédiaient sur le marché de La Villette, à Paris, une bonne douzaine de veaux d'un mois environ. La revente de ces veaux était confiée à la diligence de "commissionnaires" synonymes je crois de "profiteurs". Un télégramme annonçait, chaque lundi, le prix de vente "sur pieds" de ces veaux. J'ai gardé le souvenir de ces colères, à la lecture du télégramme annonçant des prix inférieurs au prix d'achat ; plus rares étaient les satisfactions...

C'était toute une affaire, cette commercialisation des veaux. Le jeudi, j'allais parfois avec mon père en campagne. J'aimais monter dans le cabriolet, notre cheval de l'époque "Pichard". Pichard n'était pas très nerveux et dès qu'une côte se faisait sentir, il s'arrêtait de trotter et prenait sa marche de sénateur. Père ne s'affolait pas, c'est là qu'il me passait les rênes. Toute la responsabilité du transport retombait alors sur mes épaules. J'étais fier quoique tremblant un peu. Pichard me semblait plus "cheval" que jamais. Il sentait que j'avais pris les rênes. Moi, j'aimais le commander. "Allez Pichard", "Sapré fainéant, avance un peu !"...Le Paternel devait s'en amuser, mais il n'en faisait rien voir, se contentant de rouler une cigarette. Arrivés au village, chez le client, il fallait d'abord boire la bolée de cidre ; puis nous passions à l'étable. Deux, trois veaux se trouvaient là, les vaches étaient au champ. De suite, mon père se dirigeait vers la bête à acheter, le coup d'œil bien sûr ! Alors, avec le pouce et l'index, il tâtait l'animal un peu partout (je sus plus tard comment faire) afin de deviner l'état de la viande et de la graisse. Puis commençait l'interminable discussion pour arriver à l'éternelle et immuable conclusion : "Bon ! D'accord ! Mais tu me voles... Oh non, c'est moi qu'est volé !..."

"Bien, ce veau partira à La Villette vendredi, amène-le jeudi... mais ne l'amène pas avec une "ventrée" (habitude qui consiste à gaver l'animal avant de passer sur la bascule, pouvant lui donner de 3 à 4 kilos supplémentaires...) - Je ne te paierais pas. De la merde, les Parisiens n'en veulent pas."

C'est pourtant ce qui se faisait ; mais "à malin, malin ½" il y avait toujours, dissimulés dans les gros poids à la bascule, de petits poids collés au mastic, ça compensait la "merde". On expédiait aussi des porcs ; là, c'était plus scabreux car ces bêtes ont les pattes fragiles et avant d'arriver à Paris, certaines étaient cassées, diminuant "au dire des concessionnaires" le prix de revente.

Bref, ce commerce des veaux n'était pas très rentable ; mais, puisque tous les bouchers le pratiquaient, il fallait bien suivre. La viande de boucherie était d'un rapport plus sûr, bien que limité. A l'époque, il y avait à Guignen trois bouchers et les gens de la campagne achetaient peu à la Boucherie ; la plupart se nourrissant eux-mêmes avec leurs poules, lapins ou le traditionnel charnier (énorme récipient d'un mètre de haut où l'on emmagasinait le lard salé). Il n'y avait donc que les gens du bourg pour acheter de la viande, petit chiffre d'affaire !

De la guerre 1914/1918, Père l'avait faite en entier mais il s'en était à peu près sorti. Cependant, il était gazé et il avait dû rapporter quelques séquelles ; je me souviens l'avoir vu bien souvent "mal en point", ce qui nécessitait les services d'un premier commis - qui nous coûtait cher... Et puis - était-ce sa trop bonne nature ou sa maladie ? - je crois qu'il se fit souvent rouler, en affaires.

J'aimais jouer "l'apprenti-boucher" au point que l'on devait, plus tard, vers mes 10 ans, me tailler un blouson d'office dans les vieilles blouses de boucher de mon père (ne pas confondre la blouse du boucher qui est d'un gris-bleu avec la blouse du marchand de vaches qui est noire et beaucoup plus longue).

Je portais donc ma nouvelle tenue avec fierté. Mes parents se flattaient de mes dispositions pour le commerce. Un jour, c'était peu de temps avant le décès de mon père, j'avais dans les onze ans. Mon père me demanda si je voulais aller acheter deux petits biquets de 3 semaines, prétextant qu'il n'avait pas le temps. Quelle fierté ! Le Roi, pour sûr, n'étais pas mon cousin quand j'arrivai à la ferme. On m'avait dit : "Ces biquets valent au maximum 45 francs pièce... Tu offres 40... Si tu peux les avoir à 42, ce sera bien et tu seras un as. J'avais souvent entendu de ces discussions d'achat et je savais qu'il fallait batailler dur. J'offris donc 40 F... Puis 42... Mais le vendeur était buté. Je ne pouvais aller plus loin sous peine de me faire passer pour un piètre commerçant. J'étais très déçu ! Quand, fouillant dans ma poche, je trouvais 2 francs. J'offris alors au vendeur ces 2 francs qui constituaient mon avoir personnel. Il n'en parlerait pas et, pour 43 francs, il tomba d'accord ! J'arrivai triomphant à la maison." Je les ai eu à 42 francs pièces." "Bravo", dit mon père, "tu promets". Il va sans dire que le paysan vendit la mèche et que l'on rit longtemps de mes trop précoces activités commerciales

L'abattoir - Les bouchers, à l'époque, tuaient eux-mêmes les bêtes. Notre abattoir, contigu à l'écurie, était grand "comme un mouchoir de poche". On pouvait, tout de même, y tuer une belle vache. J'y ai même vu abattre un ou deux taureaux. Sans doute à l'occasion des fêtes de Pâques. Alors, en cette fin de Carême, les paysans n'hésitaient pas à s'offrir de la viande de boucherie. Bien évidemment, on tuait aussi l'agneau. Souvent, le jeudi, j'étais employé à dépecer les veaux. Je n'arrivais pas à faire des "fleurs" sur la viande mais je faisais, par contre, des trous dans la peau de la bête et notre commis m'enguirlandait. C'est que la peau abîmée se vendait moins cher. Moi, qui plus tard n'ai jamais assommé un lapin (1) ni égorgé une poule, j'étais un véritable "tueur". C'est tout naturellement que, les veaux pendus par le commis, j'enfonçais le couteau derrière l'oreille de la pauvre bête.

De temps en temps, le jeudi, il m'arrivait d'accompagner le commis dans les villages pour tuer le cochon. Mon travail consistait à ouvrir la tête, la cassant en deux avec une hachette, pour en sortir la cervelle. Cette cervelle, d'ailleurs, rejoignait aussitôt la "palette" et quelques bons morceaux dans la poêle, afin de restaurer tout le monde. Les femmes ensuite préparaient le boudin.

Autre bon souvenir, celui des noces ! C'était une véritable expédition, quand le boucher promu restaurateur de la noce partait le matin. La vieille "Rochet-Schneider" débordait de paniers pleins de serviettes, de grandes nappes, de fourchettes, couteaux, casseroles en tous genres. Elle débordait aussi, la Rochet, de personnel. Bien que les serveurs et serveuses se recrutaient sur place dans le village (de la noce, NDLR), il fallait le personnel de cuisine, c'est à dire mon père, le commis, la bonne et la cuisinière en chef, une vieille dame du bourg dont j'ai oublié le nom. Quant aux serveuses improvisées dont j'ai parlé plus haut, elles revêtaient les tabliers blancs que nous avions amenés et elles en étaient ravies. Par beau temps, nous dressions les tables (de grandes planches sur tréteaux) en plein air, sur le pâtis. S'il pleuvait, les paysans avaient la grange, on en refaisait le sol (lire : boucher les trous) et de grands draps blancs, garnis de fleurs coupées donnaient un air de fête. Moi, je ne servais pas à table ; mais j'étais partout. "Jules, apporte-moi ci. Jules, fais-moi ça..." Je suis revenu un jour en vélo chercher les jarretières de la mariée ; elles avaient été oubliées par Mme Morel, la couturière. Tout le monde blaguait de l'affaire. Je n'ai compris que plus tard le côté risible de l'affaire.

Tard dans la nuit, la voiture nous ramenait à Guignen et tous nous chantions l'air connu : "En revenant des noces, j'étions bien fatigué - Au bord d'une fontaine etc..." J'étais heureux comme un roi !

Ma sœur, Marcelle... Bien que je sois son aîné de 3 ans et demi, je n'ai pas souvenance d'elle en son berceau. Toutefois, ce berceau en bois, je le vois encore, il fut longtemps oublié en haut, au grenier. De même, je me souviens peu de jeux faits ensemble. J'avais presque 7 ans quand elle attrapa ses 3 ans et chez nous, c'était un peu comme ça... la fille restait avec Maman et Simone la Bonne tandis que le gars suivait déjà les hommes, à l'écurie, à l'abattoir, en campagne, puis il y avait les copains du bourg.

Un souvenir marquant de ma sœur, à cette époque (elle ne m'en voudra pas de le dire ici) ce sont les scènes de peignage, cent fois répétées. Avec sa chevelure longue et épaisse, ma sœur attrapait facilement des poux à l'école. Chaque séance durait bien une heure et ma sœur braillait comme si on l'avait saignée. Je vois encore le pouce retourné de Maman, tuant ces petites bêtes. Quel travail pour notre pauvre mère !... En classe, je ne voyais pas davantage ma sœur car il n'y avait pas d'école mixte, à l'époque. D'ailleurs je me demande si nous aurions fréquenté la même école. J'allais, moi à l'école laïque et Marcelle chez les sœurs. En voici peut-être l'explication. Notre père, bien que né dans une famille très chrétienne, revint de guerre transformé en un Radical laïque. Sa bonté naturelle fit qu'il ne détesta ni ne fut détesté de Chouans (2) ; il fut même l'homme le plus estimé du pays. La preuve en est que l'église du pays ne connut jamais tant l'affluence qu'à son enterrement. Il était si peu chauvin qu'il m'encouragea à entrer dans la "Clique" de l'école libre et je fus admis comme "tambour". C'est peut-être pour cela que plus tard, je ne restais pas "le laïque anti-calotin" mais cela est une autre histoire !...

Revenons à ma petite sœur. Un autre souvenir qui me revient est celui de la cueillette des châtaignes, chez la tante de Cöêmur, avec la fameuse histoire du tablier sur les choux, que nous prîmes pour un sanglier. L'illusion ou l'imagination de ma sœur avait ainsi ameuté, alerté tout le village y compris notre cousin René dont il faut ici mentionner le nom.

Père mourut très tôt, hélas ! après une longue maladie, j'avais seulement 12 ans et demi; ma sœur avait tout juste 9 ans.

Lorsque ma sœur fit sa Communion Solennelle, j'étais déjà parti au travail ; nous nous séparâmes donc assez vite. Mais, c'est peut-être à partir de là que nous nous rapprochâmes le plus, dans la lutte que nous devions mener après. Mais cela est une autre histoire !...

Durant trois grandes vacances je dus aller "garder les vaches". Raconter cette épopée serait trop long. Que l'on sache cependant que c'est là que j'ai appris à souffrir, à obéir et ce fut peut-être là ma meilleure école. C'est pendant ce temps en tous cas, c'est là que je fis le vœu de faire quelque chose de ma vie. C'est fou ce que l'on peut rêver, seul dans les prés, avec un chien et trente vaches.

A l'école, je fus un bon élève. Nous avions un bon instituteur et avec Louis Morel (devenu plus tard Préfet) (3) nous nous battions pour la 1ère place. Sans doute étions-nous avantagés par rapport aux enfants des villages. Car, avec le temps qu'ils mettaient à rentrer de classe et le travail qui les attendait en arrivant, ils n'ouvraient guère leurs livres. De l'école publique, je garde un excellent souvenir. A l'époque, nos instituteurs revenaient de faire quatre années de guerre, ils vivaient intensément la paix et leur métier. Malgré cela, je serai moins affirmatif sur la neutralité de l'Ecole (on m'a bien laissé entendre que Jeanne d'Arc était un peu folle avec ses "voix".)

Père était décédé quand je passai mon certificat d'études, j'obtins le grand prix de lecture. Sur les conseils de l'instituteur Mr Kernaonet, Maman essaya de me faire entrer à l'Ecole des Troix Croix à Rennes, une Ecole Régionale d'Agriculture. Mais il fallait payer, je crois, 300 F. par mois, c'était impossible ! Survint alors le "Service" d'enterrement de mon Père, un an après sa mort. Au cours du repas de famille, l'oncle Adrien de Nouvoitou proposa de m'emmener, il lui fallait un apprenti. Ma valise était faite 2 heures après ; c'est ainsi que je devins Tailleur. J'avais pensé à tous les métiers, sauf à celui de Tailleur. En effet, rien ne me disposait à ce travail en chambre, assis jambes croisées. Les rares exercices étaient de "Bâtir" debout ou de "Repasser" (Bâtir consiste à assembler provisoirement sur la table le tissu sur la toile). J'étais au contraire fait et habitué à la vie active. J'aimais les contacts humains. Il me faudra attendre 25 ans plus tard, pour adopter la profession idéale pour moi. Mais revenons à mon métier de tailleur...

Chez les artisans Tailleurs, à l'époque, le travail commençait le lundi matin pour finir le samedi soir. Mais le dimanche matin, il fallait faire le grand nettoyage de l'atelier. Celui-ci terminé, il était tout juste l'heure d'aller à la Grand-Messe. Pour me "promener" disait la tante, je devais très souvent porter des colis chez les clients des environs. Cela dura 2 ans, mais je devais réagir un dimanche que mon vieux vélo avait une roue de crevée. Je refusais de la réparer. Dès lors, on ne me demanda plus de porter des colis, le dimanche. Pour les fêtes, Toussaints, Pâques, les Communions... le travail redoublait. Alors, commençaient les veillées. Les veillées consistaient à retourner travailler, après la soupe, jusqu'à 10 ou 11 heures du soir. Quand nous reprenions un café, cela nous permettait de passer minuit. Je me souviens de l'année de la Communion de mon cousin Henri, nous commençâmes les veillées un mois et demi avant la date de la Communion. La dernière quinzaine, nous ne nous couchions pas avant deux heures du matin (pour se relever à six heures trente) et je m'en souviens parfaitement, nous avons travaillé toute la nuit précédant la Communion. Je dormais debout ! Je me demande encore comment j'ai pu porter le cierge du cousin (c'était la coutume de porter de très gros cierges à côté du communiant). Cette vie dura 6 ans. Chez un autre patron, je serais parti ; mais c'était mon oncle et j'avais peur d'un drame familial. Pourtant, je trouvais le temps d'aller au patronage, la salle du presbytère était juste en face, il n'y avait que la rue à traverser. Dans les moments de veillées, j'avais l'autorisation d'aller seulement aux répétitions de la Clique. Encore fallait-il attendre que la répétition soit réellement commencée et je devais revenir aussitôt, laissant les copains s'amuser encore des heures... Au cours de ces six longues années, ce Patronage fut d'ailleurs ma seule détente et je devais m'y distinguer puisque je devins le meilleur "tambour" et l'un des meilleurs "clairons", le principal acteur de théâtre aussi. Enfin et surtout, je me lançais dans la J.A.C. (4) Je formais une section jaciste avec les gars de la Fanfare, pas tous. C'était trop sérieux pour certains. Vers mes 17 ans, je devins Président cantonal de la J.A.C. J'appris, comme on disait alors, à " VOIR, JUGER, et AGIR ". Je crois avoir puisé, là, une certaine formation.

Je n'étais pas un grand lecteur. Je n'en avais d'ailleurs pas le temps ; mais les rares livres que j'ai pu lire étaient des livres de formation (j'ai beaucoup aimé les poèmes de Lamartine). Ces années, de 1935 à 1939, pendant lesquelles j'assumais les responsabilités de Président de Section et de Président du Canton, à la J.A.C. me transformèrent quelque peu. De l'esprit laïc dans le quel j'avais été élevé, je découvrais l'Evangile. Dans les nombreuses réunions appelées "Cercles d'Etudes" et à travers l'Evangile, je découvris l'Eglise. Et ce qui fut une révélation pour moi, le Catholicisme n'était plus un ensemble "d'observances" sous peine d'aller en enfer, mais une Religion d'Amour. Amour du prochain à travers le Christ, vie de Joie, ce qui est tout différent.

Si j'ai, en partie, "réussi" ma vie, je le dois, je crois, à la méditation, aux résolutions prises pendant cette époque. Je crois vraiment que ce fut là le tournant de mon histoire.

Etait-ce ma position de Responsable catholique ou mon état de "paumé" dont je m'expliquerai par la suite ? Je ne sais. Mais je fus, pendant ces quatre, cinq années un garçon très sérieux. "Paumé" oui, depuis le décès de mon père, nous n'étions pas riches ! J'avais d'abord à accomplir mes trois années d'apprentissage, sans Paie, seulement quelques "pratiques", quelques pièces une fois par mois. Je pouvais m'acheter, au plus, quatre brioches chez le boulanger, une bolée de cidre prise avec les copains, ce fut tout mon budget pendant trois ans, heureusement nous passions nos loisirs au Patro.

Maman avait vendu la Boucherie à notre Commis. Pas cher d'ailleurs ! Je n'ai plus souvenance du prix, mais je sais qu'elle dut payer une forte contravention pour oubli de déclaration de bêtes abattues, si bien que notre Mère dut, pour survivre, garder le débit de boissons. Or, ils foisonnaient en Bretagne, à cette époque. A Guignen, il devait bien y en avoir plus de trente. Tout le monde avait son Bistrot, les trois bouchers, les quatre tailleurs, les trois cordonniers, les trois forgerons etc... En semaine, les rares clientes, chez nous, étaient quelques vieilles "commères" qui s'arrangeaient très souvent pour avoir, en plus, la tournée gratuite ! Le Café était peu rentable, et quand plus tard, devenu ouvrier, je gagnais quelque soixante francs par mois, alors je revenais a pays avec le maximum d'argent (c'est à dire tout mon gain, moins mes quatre brioches du dimanche) et j'aidais Maman à payer les fûts de cidre ou autres factures.

Ma sœur Marcelle, à cette époque, poursuivait ses études à quarante kilomètres de Guignen (Montauban de Bretagne) dans une pension modeste. Elle apprenait bien en classe et les Religieuses à qui Maman l'avait confiée voulaient en faire une institutrice. Comme nous ne pouvions assumer tous les frais, elle devrait rendre ses années d'études plus tard. Et pour devenir Professeur par la suite, elle dut pareillement accepter un travail au pair. Il reste que pendant tout ce temps, elle et moi, avons réalisé ce qu'était la pauvreté ; et cette pauvreté-là ne se raconte pas. Mais combien de décisions avons-nous prises ensemble, à cette époque !...

Si ma sœur les avait gardées, elle pourrait montrer toutes les lettres que je lui adressais en ce temps ; Elle me répondait d'ailleurs dans le même sens. En gros, ces lettres voulaient dire ceci : "Oui, nous arriverons un jour à en sortir. Tenons bon !"

FIN

 

Notes :
(1) Je l'ai vu le faire une fois mais avec, c'est vrai, une très grande répugnance... JB
(2) Chouans : Les Chouans furent les partisans de la contre-révolution, dans les régions des Marches de Bretagne. A ne pas confondre avec les Vendéens... Le mot désigne ici les catholiques, par opposition aux "laïques".
(3) Louis Morel : Il fut Haut-fonctionnaire, Directeur central des Renseignements généraux et Préfet.
(4) J.A.C. : Jeunesse Agricole Catholique.