n° 156
septembre 2011

 

 

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Des huées méritées pour le ministre

 


A l'enterrement d'Allain Leprest, l'autre jour (le 23 août), à Ivry, plusieurs centaines de personnes entouraient le cercueil de ce chantauteur magnifique, l'un des grands talents de notre époque - inconnu du grand public, bien sûr.

Pourquoi a-t-il fallu que le ministre de la Culture envoie un message ! Celui-ci fut accueilli - on peut voir la scène sur internet - puis lu, sous les huées ; on entendit plusieurs fois fuser le mot "obscène !". C'était obscène, en effet.

Ce n'est pas la première fois que le ministre de la Culture publie un hommage à un mort célèbre. Va pour Picasso, pour Sartre et quelques incontournables du Tout-Paris ! Demain il y aura Lagerfeld et Johnny, la patronne des Miss France. On s'en fout ; on se dit que ces rituels sont une servitude liée au poste, on pardonne. Certes, ces dernières années, les ministres ont donné l'impression de vouloir "coller à l'actualité" en multipliant ces hommages et plusieurs fois, nous avons trouvé qu'il n'y avait là que de la relation publique - et donc une faute de goût...

Une faute de goût, c'était particulièrement vrai l'autre jour ! Dans le domaine de la chanson, il est notoire que, comme tous ses prédécesseurs sans aucune exception, ce ministre n'a jamais rien fait, rien tenté, rien voulu. Il n'existe pas de politique de la chanson dans notre pays. (Cela fait que le mot "culture" ne signifie pas tout à fait : culture - mais ceci est une autre histoire.) Nous avons cessé d'espérer. Redisons-le : la chanson française a été confiée, il y a des décennies et définitivement, aux bons soins du chaubise et des industriels. L'Etat n'a jamais commencé pour cet art ce qu'il a fait pour le théâtre, l'art plastique ou la musique. Ni réflexion, ni action. Les critères qui valent ailleurs ne valent pas ici. La chanson n'existe pas. Et les chanteurs qui ne sont pas dans le moule du commerce sont priés de se démerder dans les marges, mourir en silence. Depuis trente ans, voyant bien qu'on ne les prendrait jamais au sérieux, ils ont rentré la tête dans les épaules et sont partis dans les chemins, à pieds, à compte d'auteur, laissant les salles officielles, les subventions, les "plans d'aide", les pianos à queue et les hiérarques parlant bas. Ils meurent en silence, ils font tout ce qu'ils peuvent pour ne pas déranger "linstitution".

Voilà que Leprest coupe la sono... Alors, on se réunit entre soi, comme des rescapés d'un autre monde, d'une sous-culture bien plus souterraine que toutes leurs contre-cultures estampillées ; on est des petits, nous autres, des ringards, allons, serrons-nous ensemble, tous les minables… Mais le ministre surgit soudain, sur la tombe, avec son bouquet de fleurs ; il ose ; il fait un discours ! On est estomaqué, stupéfait de la grossièreté du geste, est-ce une provocation ? On crie, on siffle, on hue !

Monsieur, cette indifférence, ce mépris, gardez-les dans vos palais. Pour l'honneur de l'Etat et le vôtre ; et à cause du respect qu'on a pour votre titre, souffrez qu'ici on vous hue avec les gens en larmes de l'autre fois. Votre hommage posthume sonnait comme une insulte.

Veuillez respecter notre chagrin. Evitez de ridiculiser la République. Ce qu'on demande aux politiques, c'est de faire une politique. Seulement ça. Pas du cirque.