Révolution


1981

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JACQUES BERTIN

Les Visites au Bout du Monde

Les Visites de Bertin

Depuis six mois, j'ai envie de parler du dernier disque de Jacques Bertin : les Visites au bout du monde. J'ai attendu de lire son livre : Chante toujours tu m'intéresses.
Le disque s'est installé - dans la chambre qui me sert de lit, de bureau, de bibliothèque, de tabagie, ou de jardin d'hiver - comme un bouquet un peu ancien, ou un retour à des sources lointaines, Baudelaire peut être ? Plus récemment Ferré ?


J'ai aimé ce disque, et aucune réminiscence, aucune référence explicite à un quelconque auteur ou compositeur d'hier ou d'aujourd'hui ne peuvent rien enlever au plaisir que j'ai pu prendre à l'écouter. En premier lieu Jacques Bertin joue sur des cordes sensibles dont chacun sait la fragilité, je pense à Rufus, qui dit « nous nous trahirons dès que nos yeux se quitteront, nous nous aimerons par-dessus les trahisons...». ou à Mallarmé : « la chair est triste, hélas ! et j'ai lu tous les livres », je pense à tous les instants fugitifs, quelques heures, peut-être, qui restent d'une vie, dans la balance de chaque cour. En second lieu, Jacques Bertin ne craint aucune référence, parce que ce qu'il dit, il le fabrique d'une voix qui ne doit rien à personne, posée avec une précision d'oiseau sur chaque portée mélodique.

Ce disque ne m'a pas fait mal : j'ai eu l'impression de retrouver - moi qui suis un tout jeune écrivain - un vieux copain. Et puis, sur la couverture de ce disque, j'ai retrouvé Didier Levallet (arrangements et direction, contrebasse) et Jean Querlier (hautbois, cor anglais), qui font ces temps-ci un travail époustouflant avec Annick Nozati : toutes les histoires qu'une voix de femme peut raconter en jouant avec deux musiciens et des cordes vocales. Sans parler de Dominique Marge, qui, je crois est la frangine d'un copain qui... mais c'est une autre histoire.

Ce disque de Jacques Bertin, son huitième, peut-être, j'ai eu envie d'en parler un peu plus longuement qu'habituellement pour un disque, parce que c'est un scandale de voir dans notre pays – le monde libre ? – une escouade de vedettes se tailler, disques et médias à l'appui, la plus grande part du marché, sans avoir plus de talent ou de génie que 99 % du reste des artistes de variétés. De 1936 à aujourd'hui, le nombre d'artistes de variétés est passé de 60 000 à 15 000. Pour la plupart des artistes de variétés, le SMIC est un objectif irréaliste, d'un bout à l'autre de la carrière. Jacques Bertin dit tout cela, et bien plus, dans le livre que vient de publier le Seuil, (col. Intervention) : il développe plus ou moins les combines du show-business, contrats et négriers, rôle des multinationales, rôle de la SACEM, etc. Et ce livre est écrit avec humour, par un homme de l'art, si je puis dire ; quelque passion des chants de Jacques Bertin passe dans les pages du livre. Et ce dernier n'est pas un coup de gueule, un coup de syndicat, de politique culturelle, c'est d'abord un cri glacé, une évocation du réel, sans quoi la lutte syndicale ou politique tombe en querelle ou en quenouille de rhétoriciens. Je pense que ce livre, comme L'art qu'on assassine, publié par le SFA, sont des livres indispensables à lire par toute personne qui s'intéresse de près ou de loin à la chanson.

Les Visites du bout du monde, Le chant du monde LCS 74741.
Chante toujours tu m'intéresses, Editions du Seuil, 1er trimestre 1981. Collection Intervention.

Jean-Claude Lévy

Télérama


1980

JACQUES BERTIN

Les Visites au Bout du Monde

Bertin avec une batterie, Bertin sur des rythmes de tango, slow, jazz et valse… il y a de quoi surprendre ceux qui se sont habitués à son style plutôt sobre. Ses chansons ont plus de couleurs sans pour autant leur retirer rien de leur hauteur. Le clin d'œil manquait, le voilà. La perspective se trouvant améliorée par le contraste, on entre avec encore plus de facilité et de plaisir dans un univers dessiné à l'ombre secrète des choses, des amours, des voyages. Et surtout à l'ombre des femmes: presque tout le disque de Bertin chante les silences, les appels, les couloirs, les mémoires, les culs de sac, les départs, les espoirs, les ratages et les téléphones de l'amour. C'est mélancolique comme la brume et en même temps ferme et net, comme si l'ombre ne pouvait recouvrir l'irréparabilité des éloignements, ou alors la solidité du chanteur.

Lucien Nicolas

Le Monde de la Musique


Janvier 1981

JACQUES BERTIN

Les Visites au Bout du Monde

Un voyage en profondeur dans l'univers de Bertin qui oublie, pour une fois, de parler du reste de la planète. Il dit "Moi" et ça lui réussit. Les textes sont peut-être moins ostensiblement poétiques, mais ils parlent plus calmement, plus directement, avec passion et humour, et ça, c'est nouveau.

C'est sûrement le plus beau disque de Bertin-Levallet. Levallet, c'est l'humble vermisseau-contrebassiste qui a fait des arrangements superbes. Avec douceurs délicates des claviers et cordes, et éclatements de cuivres qui n'ont pas peur de gonfler le lyrisme déjà énorme de Bertin. Parmi les musiciens, c'est la crème: Levallet bien sûr, Jean-Charles Capon, Michel Devy, Jean Querlier, etc. La voix est à l'aise comme jamais dans sa peau. Il est question d'amour, de mémoire, et ça respire à tous les vents. Pour Bertin, quelque chose a craqué dans le bon sens.

M-A. G.