23 mars 2001
Jacques Bertin fait revivre Cadou


 
Il y a cinquante ans, le poète de Louisfert mourait prématurément

Au printemps 1951, à 31 ans, René Guy Cadou s'éteignait à Louisfert (Loire-Atlantique), la petite commune rurale où il enseignait. C'est là, dimanche, que Jacques Bertin présentera le film où il retrace la vie et l'oeuvre du poète. Coup d'envoi de nombreuses manifestations organisées, de mars à octobre, à travers toute la France, pour le cinquantenaire.

«J'avais 18-19 ans. J'étais à Lille pour mes études de journalisme. J'ai acheté "Hélène ou le règne végétal" au Furet du Nord, la grande librairie de la ville. Dans le train qui me ramenait vers Rennes, j'ai lu le recueil de poèmes de René Guy Cadou d'un trait. Comme un roman!» Trente-six ans se sont écoulés. Dans ce café parisien, à deux pas du métro Charonne et de Politis, où il poursuit sa carrière de journaliste, Jacques Bertin garde intact le souvenir de cette lecture: «Jamais je n'avais ressenti une telle émotion à lire des poèmes. Mon lien avec Cadou a été immédiat, affectif et fulgurant.» Ainsi, pour évoquer cette rencontre décisive avec le poète, Jacques Bertin a spontanément recours au langage de la révélation.

Pour autant, il ne l'a pas chanté: «Cela ne m'a jamais tenté. Il y a dans Cadou un lyrisme intérieur, avec des sauts, des changements de registre qui empêchent le passage au chant...» D'autres l'ont fait cependant, souvent avec bonheur, Bertin en convient. Il cite Jacques Douai. Et Manu Lann Huel. Bertin doit cependant à sa carrière de chanteur, exercée de 1967 à 1989, d'avoir aussi rencontré Luc Bérimont, qui fut au côté de Cadou, un des Poètes de Rochefort, sur les bords de Loire, en aval d'Angers, dans les années noires de l'Occupation: «Luc Bérimont animait à la radio l'émission La Fine fleur de la chanson française. À chaque fois, il me parlait de Cadou.» Ce pays de vignes entre Layon et Loire qui fut, au coeur de l'Anjou, le cadre de cette École poétique, est aussi familier à Jacques Bertin qui a passé son enfance, tout près de Rochefort, à Chalonnes-sur-Loire, où il a encore ses attaches familiales.

Le chanteur a mis un temps son poète préféré entre parenthèses: «Pendant des années, je n'ai pas repris Cadou. Il était trop bouleversant et sa tristesse trop forte...» Puis, avec la disparition des grands témoins de Cadou ­Bérimont, Bealu, Manoll, tous «Poètes de Rochefort», comme lui­ Jacques Bertin a éprouvé le besoin de revenir à Cadou: «Je me suis lancé, ça devait être fait». Ce devoir: faire connaître Cadou, retracer sa vie et son oeuvre. D'où l'idée, dès 1994, d'une biographie sous la forme d'un film vidéo, avec la réalisatrice Annie Breit. Mais quelle galère alors pour concrétiser! Colère d'un Bertin soudain rajeuni, redevenu rebelle comme au temps où il chantait: «La France médiatique et culturelle est organisée sous forme de clans. Si on n'est pas du clan, rien n'est possible, quel que soit l'intérêt du sujet, ici, en l'occurrence, un des vingt grands poètes du XXe siècle.»

Seule la Direction régionale des affaires culturelles des Pays de la Loire a apporté une aide financière. Le complément, ce sont 35 amis de Bertin, sollicités par lui, qui ont apporté chacun 1.000 F. Mais le résultat est là: le témoignage irremplaçable des proches, Hélène Cadou, son grand amour, Sylvain Chiffoleau, l'ami de Nantes, Bouhier, l'animateur de l'École de Rochefort et Rousselot qui en fit partie. Et tous ces paysages de l'Ouest et tous ces états d'âme, reparcourus de la naissance à la mort sur des poèmes de René Guy. «Poésie vie entière», écrivait déjà Cadou.

Jacques Boisleve

Le film sur René Guy Cadou

Le bloc-notes de Bernard Langlois