Le bloc-notes de
Bernard Langlois


Politis N° 631
21 décembre 2000

René Guy Cadou


 
Un peu de poésie, dans ce monde de brutes.

Jacques Bertin nous parlait, dans son dernier "Malin Plaisir", de son vieil ami le poète Luc Bérimont. Et du mal de chien que s'était donné sa veuve pour réussir à faire éditer le premier recueil de son œuvre (répétons-le: c'est au Cherche Midi, bravo).

Ce que ne nous dit pas Jacques, et que me dicte un devoir d'amitié, c'est le mal qu'il s'est donné, lui, pour réaliser -sur ses fonds propres et à l'aide d'une souscription- un film sur cet autre poète qu'il loge aussi en son Panthéon: René Guy Cadou.

Bérimont, Cadou: voilà deux noms qu'on ne s'étonnera pas de trouver accolés à celui de Bertin. De ceux qui connaissent Bertin le poète, l'homme qui chante (dont certains poèmes de l'un et de l'autre du reste). Les accointances sont évidentes, immédiates. Ils sont ses frères aînés. Si Luc a vécu assez longtemps pour vivre une vraie amitié avec Jacques, ce n'est pas le cas de Cadou, mort en 1951, à trente et un ans. Mais c'est comme si, tant il s'est baigné dans son œuvre.

Jacques vous convie donc à une rencontre, peut-être une découverte pour certains, sur ces bords de Loire où a toujours vécu le petit instituteur. De Saint-Benoist à Mauves, de Clisson à Herbignac, de Louisfert à Rochefort. Là où

Des maisons sont couchées sur des enfances basses
Pleines de géraniums et de bouquets chanteurs
Au creux de la vallée ce sont des trains qui passent
Et le convoi des solitudes sans chaleur…

C'est là, à Rochefort-sur-Loire, près d'Angers, que se forme l'école littéraire du même nom, peintres et poètes ensemble (Cadou, Bérimont, Bouhier, Rousselot, Manoll). C'est l'Occupation. Ces doux jeunes gens résistent à leur façon, avec l'arme des mots, des rimes et des couleurs. Plus tard, à la Libération, les lumières de Paris en attirent plus d'un. Pas Cadou, qui se sait déjà malade; qui, de toutes façons, ne serait pas venu, bien qu'on l'en presse:

- Pourquoi n'allez-vous pas à Paris?
- Mais l'odeur des lys! Mais l'odeur des lys!
- Les rives de la Seine ont aussi leurs fleuristes…
- Mais pas assez tristes, oh! Pas assez tristes!

La vie auprès d'Hélène, son amour de toujours. La petite maison de fonction qui jouxte l'école. Le rite immuable, après la classe ("Ma vie commence à cinq heures du soir"), de la plume qu'on trempe dans l'encre de Chine, jusqu'à l'heure du dîner. Une routine heureuse que viennent rompre de temps en temps quelques bordées avec les amis dans les rues de Nantes.

Cadou, poète de l'enracinement. De l'ordre immuable des choses. De la fidélité aux êtes et aux lieux. Avec "le désespoir et le bonheur de ne plaire à personne". Mais l'assurance de durer, dans la nuit des temps.

Bernard Langlois

Le film sur René Guy Cadou