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(Québec)
17 novembre 2005
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L'homme qui chante
Jacques Bertin est un des plus grands
poètes de la chanson française, quelque part entre Brassens
et Ferré. Son œuvre majeure et exigeante s'enrichit cet automne
d'un disque et d'un recueil de poèmes. Une tournée québécoise
à la clé.
Biographe
de Félix Leclerc et journaliste, Jacques Bertin est d'abord et
avant tout une référence incontournable en chanson française
(dite "à texte") depuis plus de 30 ans. Une écriture
ciselée, riche et évocatrice, paysagiste des sentiments
intimes. Un don pour la mélodie, une langueur et une puissance
dans le chant à vous coller des frissons. Impardonnable injustice,
Bertin demeure méconnu, arrivé 10 ans après les Ferré-Brassens-Brel.
Trop tard. Génération perdue. La musique allait ailleurs,
les radios aussi. Au bout du fil, avec beaucoup d'humour, le chanteur
s'explique : "À partir des années 80, notre génération
d'auteurs-compositeurs-interprètes a pris un coup dans la gueule.
Quand vous dites que je suis le dernier survivant, en fait, si ça
se trouve, je suis peut-être le premier de la prochaine lignée !
La chanson est un art séculaire, elle ne va pas s'arrêter
comme ça. Il y aura toujours quelque part un p'tit gars qui redécouvrira
l'art de chanter des chansons avec du texte, sans artifices scéniques."
Il suffit d'entendre cet homme chanter pour comprendre que son seul talent
nu est largement suffisant. Pour paraphraser Félix, Bertin n'est
pas un chanteur, juste un homme qui chante.
Et qui cause, plein de sagesse, de fantaisie, de poésie. Les radios
ne diffusent pas ses chansons ? Qu'importe. Il sait attendre le retour
du balancier : "On peut imaginer, un jour, une révolte
contre les médias. Est-ce que telle chaîne de télé
française ne pourrait pas être une représentation
de ce qu'a pu être la Bastille en 1789 ? Par le pouvoir, la justice...
On peut imaginer que des gens prennent d'assaut la grande chaîne
de télévision, pendent le concierge par les pieds, le pauvre,
il ne comprendra pas ! Qu'ils égorgent trois journalistes
et s'en aillent en disant : "C'est une ère nouvelle qui
s'ouvre!" dit-il en riant.
Fier et droit comme un arbre qui sait jusqu'où plongent ses racines,
Bertin poursuit sa route en toute indépendance et loin du show-business.
Cet automne, il publie un recueil de poésie : "Pour ces
poèmes, j'ai utilisé l'écriture automatique. Une
certaine rapidité d'écriture pour sortir tout le fiel, tout
le suc. Ça se passe du côté de l'inconscient, on est
plus libre, mais ça peut aussi vous faire écrire beaucoup
de conneries!"
Bertin est également un habitué du Québec et il
ne se gêne pour le célébrer dans une des chansons
de son nouvel album : "Ça s'appelle La Belle Fille
aux yeux verts. Je suis venu la première fois à Québec
en 83, il m'a fallu 20 ans... Ça m'est venu comme ça, sous
la plume. J'ai beaucoup d'affection pour la ville de Québec et,
évidemment, pour le pays lui-même."
Un pays qu'il parcourra patiemment, de Saint-Pierre-et-Miquelon à
Montréal en passant par Jonquière, dans les prochaines semaines.
Avec ses exquises chansons dans ses bagages.
Francis Hébert
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