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(Québec) 11déc. 2003
| Tour
intérieur
Les
chansons de JACQUES BERTIN ouvrent en nous l'espace vertigineux de l'expérience
sensible, ravivent certaines blessures, nous confrontent à nos émotions
les plus profondes. Sur disque ou sur scène, l'intimité de sa parole
et la force de son chant ont pour effet de faire tomber nos masques et de nous
reconnaître frères humains.
Après
L'Hôtel du grand retour, Le Grand Bras, Les Îles...
et un enregistrement public, Aux Oiseaux de passage, Jacques Bertin nous
revient avec La Jeune Fille blonde. C'est l'occasion de parler de nouveau
avec lui de préoccupations constantes dans son oeuvre, comme l'enfance,
la famille, l'amour, la solitude et la chanson. Des chansons comme Le Rêveur
et Les Tonnelles semblent évoquer l'importance accordée à
l'univers intérieur, l'éveil du désir amoureux, mais aussi
la nostalgie d'un pays perdu, la désillusion face à des promesses
non tenues. Bertin nuance en évoquant son fils, qui sera très présent
dans les chansons de ce disque : "Je pense surtout à l'enfance
de mon propre fils, qui a maintenant 29 ans. À la nostalgie de ne pas être
encore grand-père, à ce manque." Il poursuit en parlant
de sa famille et de son enfance heureuse : "Les parents ont une influence
assez remarquable sur les souffrances, sur les ruptures. Je viens d'un milieu
familial et social chaleureux, respectable, uni. Six enfants. Et mes oncles, mes
tantes. Des chrétiens, avec une solide morale. Quand on est élevé
dans un milieu d'adultes, on est obligé de croire à la société,
au monde. En opposition avec la morbidité des élites, qui traduit
une certaine naïveté, on se dit : "Si on se bat, ça
marche!" Ce qui explique le fait que je sois en rupture avec plusieurs artistes,
avec la société."
Dans une des très belles chansons
du disque, La Grande Crue de 2001, Bertin évoque le danger d'un
trop-plein d'amour, de l'amour paternel étouffant qui souvent trahit des
peurs profondes : "Tu ne peux anéantir ton enfant sous l'affection."
Dans La Prose des longs jours, il est entre autres question de la continuité
entre générations. Bertin valorise la mémoire du père,
le désir de lui rester fidèle, de la prolonger: "En vieillissant,
on s'occupe du jardin du père. Pour que nos valeurs soient transmises."
Le sentiment de vieillir, lui, viendra par le travail du temps sur le corps et
surtout par le regard des autres : "La fatigue de se battre. Le sentiment,
dans le domaine des idées, d'avoir été trahi. Pourtant, à
certains égards, nos idées sont plus fortes." Or, à
la défaite amoureuse et au silence, au temps ravageur qui semblent des
ennemis "sans merci", Bertin oppose avec grâce, dans l'une
des grandes chansons de l'album, La Jeune Fille blonde, un généreux
"Merci" : "Remerciements à mon passé,
à mon enfance, à cette "jeune fille blonde", à
mon peuple." La chanson reste pour Jacques Bertin un acte vital :
"Chanter est un équilibrant majeur comme acte physique. Sur la
scène, nous partageons une communauté de valeurs. Même si
tu chantes des choses désespérées, l'acte lyrique est une
célébration de l'humain." Du
12 au 14 décembre 2003 à 20 h Aux Oiseaux de passage Denys
Lelièvre |