Voir (Québec)
30 nov. - 6 dec. 2000

Politiquement soi-même


 

Même si ce n'est pas d'emblée apparent dans les textes de ce génie de la chanson, JACQUES BERTIN est un militant obstiné dont la vie consiste en une recherche d'équilibre entre l'intuition poétique et ses conséquences politiques et sociales.

Chanter: voilà une action qui tend à instaurer l'unanimité, loin du débat propre au fait de simplement parler. Qu'il récite ou bien qu'il chante, Jacques Bertin s'est pour sa part toujours retenu de verser dans le simple exercice vocal dont se contentent plusieurs rossignols urbains. Quelque chose dans le ton de cet homme n'est pas d'accord, sorte de protestation en sourdine contre le mal, contre la bêtise ou les solutions trop faciles, même si ces refus doivent finalement s'étreindre dans l'abandon de soi auprès des êtres aimés. Mais avant cet abandon, refuser jusqu'à l'épuisement total de l'âme, voilà ce que dicte à Bertin la tendresse mélancolique que promènent jusqu'à nous ses morceaux poétiques.

Longtemps rédacteur en chef adjoint à l'hebdomadaire Politis, où il est depuis peu redevenu chroniqueur culturel et social, ce biographe de Félix Leclerc est un critique radical de la culture telle qu'on la conçoit actuellement. Son auditeur ou son spectateur, il veut en faire un autre créateur, celui de sa propre vie au moins, ou même un peintre du dimanche. Quant à la grandiloquence du showbusiness actuel, considérée comme le grave symptôme d'une impuissance sociale, il se contente de s'en tenir loin. "Ma mère m'a signalé qu'à la télévision, on chante très fort. J'aime réentendre Félix Leclerc et apprécier les différences de ton, qui font de lui un véritable professionnel plutôt qu'un simple artiste", remarque Bertin.

Tout en préparant le cinquième volume de son intégrale, le plus discret des grands B de la chanson se promène actuellement avec deux événements dans sa poche: d'abord un tour de chant constitué de nouvelles interprétations de poèmes divers, qu'il présentera à Québec, ensuite un documentaire qu'il a tourné à propos du poète René Guy Cadou. Bien qu'à ce stade-ci la diffusion du bout de film demeure plutôt confidentielle, il faut espérer qu'il soit bientôt présenté lors de quelque festival. "Cadou, malgré qu'il soit peu connu, est très lu parmi les amateurs et c'est pour moi un des plus grands poètes que le XXème siècle ait connus. Même Mitterand connaissait certains de ses poèmes par cœur!"

Le chanteur semble d'ailleurs plus enclin à parler des autres que de lui. Un peu comme Brassens, il poursuit tranquillement une besogne qui n'est pas tant affaire de renouveau que de fidélité à son projet d'existence. Questionné à propos de son plus récent disque, Le Grand Bras, les îles…, il se contente ironiquement de le situer… entre l'avant-dernier et le prochain. "Non, je n'ai rien de plus à en dire. La cohérence de mes disques, je la puise dans celle que j'essaie d'instaurer dans ma vie".

Thierry Bissonnette