Témoignage Chrétien

Témoignage Chrétien

Supplément au N° 3593 (26 juin 2014)

Hélène ou le règne végétal


L’amour entre deux grands poètes du XXe siècle innerve un recueil de textes dont Jacques Bertin, un amoureux des mots lui aussi, n’a su se détacher depuis.



J’avais 20 ans. C’était l’hiver 1966-1967… J’étais étudiant à Lille. Un après-midi, allant prendre mon train pour les vacances, je traîne au Furet du nord, la grande librairie du centre ville. Sur une étagère, je vois ce livre : Hélène ou le règne végétal, de René-Guy Cadou (3,50 F).

Luc Bérimont, déjà, m’avait parlé de ce gars-là! Il faut dire, oui, qu’il y avait Bérimont! Animateur vedette de la radio, écrivain, poète, ami intime de Cadou, il m’en parlait et m’en parlerait à chaque rencontre! J’achète ce livre.

Je monte dans le train. Je m'installe... C'est le seul livre de poésie que j’aie jamais lu d’un trait -dans un train ou ailleurs.


Ce gars-là, c’était mon frère! Né en Brière, en 1920. Enfance à Nantes. Instituteur public remplaçant en Loire-Inférieure. Il se fait copain des jeunes poètes de «l’École de Rochefort»: dans un village du Maine-et-Loire, des coups à boire, des discussions, de l’amitié. Cela surtout: l’amitié. Le cœur sur la main, sous la plume...

Après la guerre, il est nommé à Louisfert, près de Châteaubriant (Loire-Atlantique). Il refuse de «monter à Paris»! Il n’y voyagera qu’une seule fois, et brièvement. Ses amis lui préparaient pourtant son triomphe. Ses amis: Bérimont, déjà cité, Marcel Béalu, libraire rue de Vaugirard, Jean Bouhier, journaliste à Ce soir, Jean Rousselot, qui sera plus tard président de la Société des gens de lettres… Tous des anciens de Rochefort.

Il restera à Louisfert avec son amour, Hélène, poétesse elle aussi. Il y meurt à 31 ans, toujours inconnu, et d’ailleurs refusé par GaIlimard. Un détail, toutefois: le lendemain de sa mort, Louis Aragon lui consacre une page entière dans les Lettres françaises!

Puis le temps passe. L’indifférence des milieux parisiens (tout est mode...). Non, depuis, je n'ai jamais lu un article dans un de ces journaux centraux sur celui que je considère comme un des pIus grands poètes du

XXe siècIe. Jamais. (Il est vrai qu'il n’a pas eu le temps d‘être stalinien ou trotskiste; et qu'il n‘a jamais été «novateur», ni destructeur des formes, dans ces années où déjà pointaient à l'horizon les âneries de la revue Tel Quel, de Philippe Sollers.)


Un méconnu, donc. Et pourtant, ses œuvres complètes sont sans cesse rééditées depuis 1973. Tout comme Hélène ou le règne Végétal! Ce qui signifie, puisque jamais la presse n’en parle -j'insiste-, qu’un large public d'amateurs se refile le tuyau... La preuve permanente que la poésie intéresse les gens et que, si celle d'aujourd’hui n’a que des tirages infimes, c'est faute des poètes, tout simplement, et de l'esthétique «contemporaine» -vous voyez ce que je veux dire...

Nulle affectation littéraire, liberté formelle sans snobisme, voilà Cadou. Cœur sous la main. Je ne veux pas en dire davantage. Cadou doit rester celui qui échappe à la mode. Celui qui n’ira jamais à Paris. S’il vous plaît, restez discrets! Laissez faire le cœur.


JACQUES BERTIN

assure une chronique mensuelle à Policultures.

Prix Paul-Verlaine 2010 de la Maison de poésie (fondation Émile-Blémont) pour son recueil Blessé seulement (éd. L‘Escampette, 2005; 112 p., 15 €).

Dernier disque

L'état des routes, 2013.

Discographie complète et événements sur http://velen.chez-alice.fr/bertin


Témoignage chrétien supplément au N° 3593 du 26 juin 2014