Le Soleil
(Québec)


19 novembre 2005

Jacques Bertin
L'artisan chansonnier

 

Même s'il est "un grand parmi les grands" de la chanson française, cet art poétique qui rime avec musique qu'il pratique depuis plus de trois décennies, Jacques Bertin n'en demeure pas moins un grand amateur, mot qui en suggère un autre, si proche : amoureux. Et comme on ne fait pas métier d'aimer, à moins de se prostituer, Bertin persiste et signe dans sa gracieuse gratuité.

Jacques Bertin n'a jamais cherché à monnayer son Grand Prix de l'Académie Charles-Cros, en 1967. Plutôt que d'ériger son monument et d'édifier sa fortune, il a simplement continué à bâtir sa maison en pierres de lune, en (com)posant ses chansons une à une. Quand on parle de Bertin, on dirait que les rimes viennent naturellement.

Amoureux de la chanson, Jacques Bertin l'est également du Québec, qu'il visite en chantant pour la dix-neuvième fois depuis 1983. Il retrouve ici des amis fidèles. Fidèles à sa voix comme à la vraie chanson française, un art pratiquement oublié dans son pays. Mais combien de temps les Québécois, ces Gaulois du Nouveau-Monde, résisteront-ils à l'envahisseur ?

Jacques Bertin n'a pas le cœur à le dire. Il préfère parler de tout, de rien et du reste : de son nouveau disque, No Surrender, ou de son récital, présenté au Théâtre Petit Champlain, le vendredi 25 novembre. "Je suis l'oiseau blessé au bord des tombes… l'oiseau blessé qui jamais ne tombe". Le nouvel album de Bertin est ainsi parsemé de vers qui dénudent des plaies fraîchement ouvertes ou incomplètement guéries, qui exposent une sensation vive et douloureuse. Mais il ne faut pas croire que ce sont les paroles d'un poète abusant de la rime noire du désespoir.

"Certains m'ont reproché le titre anglais de l'album, No Surrender. Je n'ai tout simplement pas trouvé d'expression française qui dise le refus de se rendre d'une façon aussi définitive, sans pour cela être impérative. L'essentiel, c'est que ce titre signifie bien que je n'abdique pas devant la perte de sens, que je ne recule pas devant l'avance de l'âge. "Bien sûr, lorsque je parle des anciens élans et des volcans éteints, tous les gens qui ont passé 55 ans me comprendront à demi-mots", déclare Bertin en entrevue.

D'autres chansons, cependant, dépassent les questions intimes pour aborder des considérations plus vastes : "Ayez pitié de moi, Dieu si vous existez… S'il vous reste un peu de respect pour votre création, ayez pitié…" (Miserere). Ces paroles de chanson appellent cette remarque de leur auteur : "C'est ma première chanson où je parle de Dieu. Je ne suis pas très porté sur la métaphysique, et la question religieuse ne me préoccupe guère. Le vrai thème de Miserere, c'est un désespoir, une souffrance qui s'exprime vers le haut, qui cherche une éclaircie. Et l'album en contient plusieurs…".

No Surrender n'est pas un disque thématique, mais la somme de chansons composées en deux ou trois années de vie. "C'est le disque d'un mec qui approche de la soixantaine, et c'est là le seul lien entre les chansons. D'ailleurs, je ne cherche pas à faire jeune ! Je trouve extrêmement bizarre, choquant même, que certains chanteurs de 50 ans se vantent d'attirer un public de jeunes en ressortant leurs succès de jeunesse. Il faut évoluer, grandir avec son âge. D'ailleurs, les jeunes ont besoin que nous leur parlions avec les accents de la maturité, avec les mots de notre âge. C'est une question d'authenticité, de sincérité."

L'angoisse de la page blanche ? Bertin ne connaît pas. "J'éprouve plutôt l'angoisse de la page pleine ! Je dois tordre ma plume pour l'arrêter de couler ! J'écris un peu tout le temps, c'est une activité naturelle, comme manger et respirer. Je ne suis pas de ces artistes qui s'enferment trois mois dans un studio ou dans une maison de campagne pour fabriquer un album, parce qu'il faut en produire un ! Je ne suis pas un fabricant, mais un artisan !"


Régis Tremblay