Mûrs Erigné
(récital 18 mars 2016)

24 mars 2016
|
CE QUI PERSISTE Écouter les mots par François Taillandier
Le
hasard continue de faire bien les choses. Ayant évoqué ici la semaine
passée le propos de Jean-Pierre Siméon sur la poésie, j’en ai eu,
vendredi dernier, l’impressionnante illustration. Du côté d’Angers, et
pour être précis à Mûrs-Érigné, au sud de la Loire, se produisait le
chanteur Jacques Bertin, que j’avais beaucoup aimé à vingt ans et
presque oublié ou négligé depuis.
Je puis dire que là, dans
cette « salle Jean-Carmet » sise quelque part entre un hypermarché trop
grand et les îles que forme le fleuve, j’ai compris ou retrouvé ce que
peut être la poésie en tant que parole d’opposition à tout ce qu’on
entend tous les jours, aux artifices de com, aux clichés politiques,
aux bavardages ricanants des talk-shows, aux lieux communs des
magazines, bref, à tout ce qu’on nous fait bouffer comme on bouffe des
surgelés trop gras et des salades dans du plastique. Parole
d’opposition en ce sens qu’elle pose et propose un autre usage des
mots, dans la voix, le rythme, la résonance.
La poésie de Bertin
le donne d’autant plus à sentir qu’elle parle, précisément, d’un pays
réel et d’un peuple. Il y a depuis le début chez lui une tendresse
inquiète et profonde pour cela, oui?: un pays réel, avec ses humbles
formes de vie, son histoire, les souvenirs accrochés dans le paysage.
J’incite mes lecteurs qui ne connaîtraient pas ces chansons à écouter
la Loire, le Passé ou les Curés rouges?; à s’arrêter sur des
suggestions, des images, « la chanson triste des fenêtres », « deux
mille ans de chemins creux », « nous avons fait de la fidélité », « et
vous avez construit un pays dans l’histoire »… Je n’ai malheureusement
pas la place de citer comme il le faudrait ces vers qui se souviennent
de Péguy, de René Guy Cadou, de Claudel peut-être, et qui sont
semblables au cours lent, chargé de tourbillons et de moirures, du
fleuve près duquel il a grandi.
Après des années de relative
indifférence cette parole me revenait dans la voix puissante, au
lyrisme définitivement assumé, et j’oserais dire catégorique, de cet
homme de soixante-dix ans qui chante tranquillement assis sur une
chaise comme pour discuter avec des copains. Ces retrouvailles
imprévues formaient pour moi l’image même de ce qui persiste quand nous
oublions, de ce qui continue de sourdre et que les télés, les radios,
tout le bavard vacarme ambiant, qui croient voir tout et tout
comprendre, ne comprennent ni ne voient. François Taillandier
http://www.humanite.fr/ce-qui-persiste-602912
|