Aix-en-Provence
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Bertin, l'ami au coin du feu
Écouter Jacques Bertin, c’est comme avoir rendez-vous avec un vieil ami au coin du feu, qui nous régalerait de la fine fleur de la chanson française avec sa « gratte » sur les genoux : « Nous les riens, nous les guitareux. » Comme Brassens ? Pas tout à fait. Sa main droite a la particularité de jouer plus près du talon du manche que de la rosace, donnant une résonance très « battante ». Fidèle à la poésie et à ses amis, Luc Bérimont, René-Guy Cadou, Claude Semal, Jean Vasca… dont il reprend les vers : « Amis soyez toujours l’ombre d’un bateau ivre / Ce vieux rêve têtu qui nous tenait debout. » Sobre, il parle peu entre les chansons qu’il enfile comme des perles. Car ce sont des bijoux, textes d’« un très long vers » sans refrain qui montent jusqu’à la « rime idéale ». Les formats, ça n’est pas pour lui. Oubliés les « Pas plus de deux minutes, trois maxi, hein coco, sinon ils décrochent ! » Même si la liste des chansons est collée sur sa guitare, la mémoire est toujours au rendez-vous. Seule Le passé est chantée avec le texte car – il nous l’avoue – il a renoncé à l’apprendre par cœur : à elle seule, elle résume toute l’histoire des humains du siècle passé. Et tout Bertin. La voix n’a pas changé, grave et bien placée, modulant les r à l’ancienne. Elle m’a parfois évoqué celle de son ami Félix Leclerc. C’est « un homme qui chante », pas un chanteur. Et le public écoute sa parole, sa poésie chantée, avec ferveur. Le souvenir est le thème récurrent du concert, depuis L’étang chimérique, de Ferré, qui l’ouvre, en passant par Le rêveur, Le temps a passé comme un charme. Un présent d’autrefois surgit avecActualités d’Albert Vidalie qui ressuscite Stéphane Golmann et Yves Montand… Les villes, ou plutôt les villages, et les maisons, nous content leurs chansons, Gros bourgs français : « Je vous traverse comme un couteau dans un fruit /Je vous déguste comme un gâteau des dimanches / Vous mijotez comme des lampions dans les branches / Vous mûrissez comme des baisers dans la nuit » ; les hommes aussi, jusqu’aux Curés rouges : « Ah, chers vaincus pour rien, travailleurs pour la gloire. » Si la nostalgie est de mise, Bertin ne nous abandonne pas pour autant. Il nous explique Que faire : « Ramener de l’homme / Cueillir en hiver / Ré habiter l’homme / Planter dans la mer / Parler à mon frère / Te prendre la main. » Avec la musique typique de ses chansons qui monte avec l’intensité des vers, l’émotion nous gagne. En rappel, de douces chansons, trésors de notre patrimoine français : Le marin qui revient tout douxet Le temps des cerises, puis la radieuse L’âge d’or de Ferré. J’aurais aimé une mise en scène un peu plus complexe, l’accompagnement d’un piano, voire d’un trio en retrait de la voix, l’aidant à s’envoler vers les hauteurs du rêve. Sans doute cela ne conviendrait pas à la douce mais ferme intransigeance de Jacques Bertin : « Joue plus fort, surtout pas plus vite (…) T’en fais pas si ça traîne un peu / Si on est un peu long tant mieux / Y’a qu’l'amitié qui rend heureux. » Catherine Laugier, 28 avril 2015 http://www.nosenchanteurs.eu/index.php/2015/04/28/bertin-lami-au-coin-du-feu/
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