Avignon, Théâtre des Halles (récital 16 décembre 2010)

 

La Marseillaise
décembre 2010
 

 

 


Du chant d'un homme au chant des hommes

 

« Dire que j’aurais pu rater cette soirée, me confiait un spectateur enthousiaste au milieu des applaudissements… » D’autres encore, du métier, comme Agnès Ravaux et Guillaume Giraud, étaient venus de loin pour découvrir leur aîné.

L’horizon de Jacques Bertin c’est celui d’un homme lucide, de cette lucidité qui ne fait pas chanter les lendemains, mais qui porte haut le chant de notre humaine - et inhumaine - condition.

C’est celui d’un auteur compositeur interprète dont la voix souple, limpide et flexible de ses débuts a gagné en gravité et chaleur et qui, sans concessions, imprime sa marque à la bonne chanson, par delà et bien au dessus des succès du moment.

C’est aussi celui d’un poète authentique qui trouve sa substance dans tout ce qui touche à l’humain, ou l’intériorité se révèle dans une secrète correspondance avec les éléments de la nature, ses paysages et toutes les images glanées ça et là, au hasard de ses errances ; où le travail sur le texte et sur la mélodie ne cèdent en rien à la facilité, finissent par donner une âme à la chanson.

C’est enfin celui d’un chanteur désenchanté – mais pas démobilisé – qui s’est engagé sur le chemin tracé jadis par Jacques Douai, loin des sentiers battus et exploités par les media, redonnant toute sa force poétique à la fine fleur de la chanson française, représentée entre autres par la bande des cinq.

Trois de ses amis, Brua, Elbaz, et Juvin ont quitté ce monde, et ce texte d’un autre ami poète, Luc Bérimont, prend une résonance particulièrement émouvante :

« Je vais devoir m’habituer
A voir les copains s’en aller
La planche est pourrie sous nos pieds
Les berges par là sont malsaines
Où est le temps des prétentaines »

De ce temps où « Corentin » - une chanson de 1967 – évoquait « le corsage de (sa) bergère quand il s’envolait au vent » à celui de l’homme lucide qui, connaissant les flétrissures du rêve, « sait et n’espère pas », Bertin a tracé sa route debout, et son chant qui est le chant des hommes, est encore plus beau que le désespoir qui l’inspire. Comme si la beauté en était l’antidote salutaire.

C’est au Théâtre des Halles, bravant le froid du dehors et les derniers assauts du Mistral, que le public a réservé un accueil chaleureux à la mesure de ce récital où voisinaient aussi Ferré, Bérimont, Aragon, René Guy Cadou, Stéphane Golmann : autant dire ceux qui ont contribué à donner ses lettres de noblesse à la chanson française.

Un récital qui ne manquera pas de trouver son prolongement dans l’écoute de son dernier CD, un peu comme si l’artiste était parvenu à « corriger le poids de la vie, comme disait un autre poète, par un sourire impondérable ».


André Benayoun