Ouest-France 26 avril 2022
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Jacques Bertin, le chanteur-poète, ferme sa petite entrepriseJacques Bertin, le chanteur né à Rennes il y a 75 ans, prend sa retraite. Loin des modes, il a mené sa barque, toujours suivi par un public de fidèles sensibles à ses textes poétiques et choisis avec soin.
« Deux jours de route pour aller chanter à Tarbes (Hautes-Pyrénées), c’est fini. Mais j’aimais ça dans le temps. » Le temps qui passe et file entre les doigts, qu’il a si bien chanté, a fait son œuvre. Jacques Bertin, 75 ans, né à Rennes et installé depuis plusieurs années à Chalonnes-sur-Loire (Maine-et-Loire), sur les bords de Loire, ne montera plus sur scène. Ces bords de Loire aussi, il les a merveilleusement évoqués dans l’une de ses chansons, Retour à Chalonnes : « Tous les villages disposés comme des perles / sur la Loire douce à mon cou parfaitement…» Pour autant, la longue carrière de Jacques Bertin n’a pas été qu’un long poème. Au tout début, on lui prédit un peu monts et merveilles surtout qu’il est récompensé en 1967 par le Grand prix du disque de l’académie Charles-Cros. Cela ouvre des perspectives. Des liens tissés avec ses fidèles Mais voilà, l’artiste est exigeant et perfectionniste. C’est un chanteur-poète qui ne veut interpréter que des textes soignés, bien écrits, qui parlent des choses essentielles, du bonheur ou du malheur de vivre, de l’amitié qui résiste à tout, de l’amour qui s’en va et peut revenir, ou des belles choses de la nature. Finalement, il n’est pas à la mode, et de toute façon il n’a jamais cherché à l’être. « Pour faire carrière, il aurait fallu que je sois plus docile, avec des trucs et des machins», sourit-il. L’affaire est vite entendue. Il organise sa petite entreprise. Il produit ses disques, et invite ses spectateurs d’un soir à laisser leur adresse en partant. Lorsqu’il repassera par-là, il les préviendra. La salle sera pleine pour les retrouvailles avec un artiste inconnu des radios et des télévisions. Après des milliers de récitals, habitué des MJC (maisons de jeunes et de la culture), mais avec aussi des détours par des salles parisiennes, il est devenu un expert. « À Brest, si le spectacle est organisé par des gens sérieux, j’aurai environ 120 personnes», glisse-t-il. Sans faire de bruit mais en touchant le cœur de ses spectateurs qui aiment le revoir chanter, comme on a plaisir à revoir un ami, Jacques Bertin a duré, sans déroger à cette exigence de chansons intelligentes et sensibles, profondément humaines. Cela s’est remarqué. Plusieurs thèses universitaires lui ont été consacrées. Il est vrai qu’il a plus d’une corde à son arc. Il est aussi écrivain. On lui doit, par exemple, une biographie du chanteur québécois Félix Leclerc ou un pamphlet sur le show-business. Il a de quoi raconter. Au début de sa carrière, Eddie Barclay lui-même, le célèbre producteur, lui avait proposé un contrat. Il y avait plutôt vu une entourloupe. Au fil du temps, il a eu aussi le sentiment de se battre contre des moulins à vent tant, à ses yeux, la chanson reste le parent pauvre, ou même ignoré, des politiques culturelles, contrairement au théâtre, à la peinture ou à l’architecture. Comme si chanter était trop populaire et pas assez élitiste. Il rêve de salles qui permettraient aux artistes d’interpréter l’immense répertoire de la chanson française. Et naturellement, il s’est investi dans le projet de création de la Maison de l’histoire de la chanson qui doit voir le jour à Vandœuvre-lès-Nancy (Meurthe-et-Moselle). « Le ministère de la Culture aurait dû monter ce projet il y a 50 ans », déplore Jacques Bertin. Mais il se fera. Jacques Bertin a appris la patience. Didier GOURIN. |