Le Dauphiné libéré

20 novembre 2006

Le chant des hommes en tête

 

"C'est un air qui vaut pas dix ronds, c'est presque rien c'est une chanson…". La formule de Léo Ferré résonne plus loin qu'on ne l'imagine. Rien de mieux, en effet, que ces mots-là pour définir un art aussi vieux que le monde et pourtant neuf comme un jour qui se lève…

Mais si l'on fredonne facilement quelques mesures, sous la douche ou ailleurs, on manque souvent de repères, ne serait-ce que pour replacer un refrain dans son époque… C'est pour cela qu'on gardera près de soi cet ouvrage signé Bertrand Dicale (1). Non pas en se persuadant qu'il est le seul, ce serait présomptueux (2). Mais parce que tout y invite à une exploration d'un patrimoine vecteur de nos vies.

Le titre, La Chanson française pour les Nuls, s'inscrit dans la lignée d'une collection qui a ses atouts et ses limites. N'empêche, on s'y promènera, la bouche fermée, de la Cantilène de Sainte-Eulalie à Mylène Farmer, d'Edith Piaf à Bénabar, de Maurice Chevalier à Etienne Daho, de Brassens à Louise Attaque, en passant par des dizaines de noms bien vivaces ou passablement oubliés. Ferrat et Barbara sont là. Tout comme Anne Sylvestre, Georges Chelon, Maurice Fanon ou Henri Tachan.

Jacques Bertin, en revanche, est à peine mentionné. Certes, l'exigeant créateur de Paroisse et de La Jeune fille blonde n'est pas quelqu'un qui s'expose. Loin de la variété et de ses fanfreluches, il n'a qu'un seul souci : colporter le chant des hommes. Et cela depuis quatre décennies, dans un presque total mépris de ce qu'on appelle "la profession". Un ostracisme dont il sort libéré, grandi, épuré. S'il est clairsemé, son public (3) illustre parfaitement ce vocable qui est un des mots clés de son univers et de sa démarche :
La fidélité.

Jacques Bertin a une voix exceptionnelle. Ce qu'il nous donne à écouter, jamais très loin du poème, est tout simplement magnifique. On s'en persuadera en passant en boucle No surrender ("On ne se rend pas"), son dernier CD (4) - un titre comme Encore vous… est un chef d'œuvre - et en découvrant le magistral DVD (5) qui vient de lui être consacré.

L'humanisme et la fraternité de Jacques Bertin

Mais aussi en lisant les textes de ce rebelle qui fut l'ami et le biographe de Félix Leclerc. Ils sont en effe  - et c'est très rare - à même de supporter une approche hors de l'harmonie qui leur sert d'écrin. Blessé seulement (6), un récent recueil en forme d'état des lieux s'ouvre à nos yeux comme le livre de survivance de quelqu'un pour qui humanisme et fraternité veulent encore dire quelque chose.

Sans oublier la taraudante et féconde désillusion : "J'ai tellement cru au bonheur / qu'on voit mes traces dans la terre / qu'on voit ces fentes dans mon cœur / et des éclisses dans ma chair / comme le jour dans les persiennes".

Didier Pobel


(1) "La Chanson française pour les Nuls" de Bertrand Dicale, First éditions, 500 p.
(2) Lire également "Qu'est-ce que tu me chantes ?" ("Histoires secrètes des cinquante plus grands tubes de la chanson française") de Bruno Stabenrath, Robert Laffont, 357 p. 
(3) Il donnera un récital à Chabeuil (Drôme) le 1er décembre
(4) "No surrender" (" …une sorte de bataille") de Jacques Bertin, 14 titres, avec la voix d'Isabelle Bonnadier et Laurent Desmurs aux claviers (Velen, 21 rue Alfred-Riom 44100 Nantes, tél : 02 40 73 49 54).
(5) "Jacques Bertin, Le Chant d'un homme", un documentaire de Philippe Lignières et Hélène Morsly, Les Films du Sud (13 rue André Mercadier 31000 Toulouse (lesfilmsdusud@9business.fr)
(6) "Blessé seulement" de Jacques Bertin, l'Escampette (B.P. 7 86300 Chauvigny), 106 p.