Plain-chant, pleine page
(Poèmes et chansons 1968 - 1992)

1992

Editions Arléa - Velen

251 pages

Epuisé


Préface de Pierre Veilletet

Plain-chant, pleine page
 

Même lorsqu'elle broie du noir, la poésie de Jacques Bertin en extrait des couleurs. Elle échappe au désespoir par une adhésion sans relâche à la vie, ainsi la vie seule est-elle son "œuvre complète".

La poésie de Jacques Bertin nous fait le cœur vaste et le sang vermeil parce que nous la sentons réveiller en nous la vieille vertu dont on voudrait nous détourner: la ferveur, mon ami, la ferveur."

Pierre Veilletet


1992

Bertin pleine page

Je pourrais vous faire le coup du livre masqué qui, par je ne sais quelle intrigue, serait arrivé entre mes mains, sans nom d'auteur, sans rien, que j'aurais trouvé génial, avant qu'on ne me souffle: "C'est du Bertin". Je ne sais si cela serait très crédible… Je pourrais aussi jouer le numéro du vieux complice: "Ah! ce cher Jacques, que je retrouve si bien dans ses poèmes-chansons; vous pensez, je l'ai connu alors qu'il écrivait ses premiers textes, il y a plus de vingt ans, etc." Ce qui ne serait pas tout à fait exact…

C'est avant de le rencontrer que j'appris que le responsable des pages "culture" de ce journal était aussi un "homme qui chante". Un journaliste-chanteur, je trouvais cela, pour tout dire, assez curieux. Je connaissais des journalistes écrivains, sportifs, élus du peuple, mais chanteurs, aucun. Plus tard, j'eus l'occasion de l'entendre raconter comment Vercingétorix faillit battre les armées romaines, marquer sa préférence pour Baudelaire contre Rimbaud, ou se pencher avec une tendresse goguenarde sur son passé de scout. Tout cela sans piano ni guitare: l'énigme restait entière. Je me procurais donc disques et cassettes. Et là, je découvris une voix superbe, un univers intérieur, une vision personnelle et attachante, bref, tout ce qui fait de Jacques Bertin un artiste et, aussi, un homme.

Bertin, définitivement, est un inconsolable, un assoiffé d'absolu qui aspire au "domaine de joie""la révolte a vaincu le silence, l'amour est né", et où "tu es à même l'éternité". Sans doute parce qu'il se souvient de l'essentiel et qu'il regarde avec "des yeux d'enfant dans l'horizon loin loin", ce qui ne peut manquer, parfois, de le rendre mélancolique. Mais tel un alchimiste magnanime, il transforme cette mélancolie en une attention particulière et pudique envers ceux qui cette nuit sont seuls, envers "ces femmes assises dans l'hiver". Ou encore, en une "leçon de piano" d'une beauté pathétique, comme le sont ces vers adressés à "Mario":

A moins que ce ne soit mon cœur, mon vieux Mario, là, cette barque
Enfouie dans la marée de sable et par une herbe douce aux pieds
Recouverte et tenue par la ligne sans vie des peupliers.

Qu'il se montre plus inquiétant, "tu avances dans la nuit blanche comme un spasme", combattant, "il reste peu de temps pour vous investir de la sainte colère", ou rieur, "c'est fou ce qu'on est peinard quand on est seul", l'humanisme sans illusions excessives du poète n'est jamais pris en défaut. "Je crois au monde ou c'est tout comme", une qualité toujours remise en question, exposée aux coups du malheur ou d'assassins de toutes sortes, mais dont Bertin sait que grâce à elle, "nous ne vieillissons pas".

Et peut-être avant tout, il y a Jacques Bertin amoureux. Amoureux des femmes qu'il croise, qu'il fantasme, et de celles qui savent "la joie de vivre". Amoureux de "la fille aux cheveux bruns aux hanches dessinées", de "lèvres bleues comme un lagon", ou de "ces belles cuisses blanches que tu donnes aux passants". Fidèle à l'amante qui s'éloigne comme à lui-même, il ignore le désamour, cette infirmité du cœur :

"Que me reste-t-il
Sinon cette passion vaste ceignant la plaine?"

Le recueil qui paraît aujourd'hui rassemble les textes de toutes ses chansons ainsi que des poèmes inédits. Bien sûr, cet article est écrit à l'insu du principal intéressé. Nulle preuve ici d'un vulgaire copinage, mais simple témoignage de ce "passage pour se glisser dans l'amitié".

Christophe Kantcheff