La Charente Libre

Vendredi 17 août 2007

Jacques Bertin, chanteur

 

Il chante ce soir à Moulidars. Juste après le spectacle de la compagnie Théâtre en action, «On l'appelait Front Populaire 1936-2007, que sont devenus les gens de peu?». Une programmation qui n'a rien de hasardeuse. Jacques Bertin est une figure de la chanson française, celle qui aime les textes soignés et la belle langue, celle des Brel, Brassens ou Ferré. L'auteur d'«A Besançon», chanson en hommage aux salariés grévistes de Lip en 73, est un homme engagé qui n'a pas la langue dans sa poche. Engagé aussi comme journaliste. Ancien rédacteur en chef des pages culturelles de l'hebdomadaire Politis, il collabore aujourd'hui à la revue Policultures. Chanteur avant tout. Connu, mais méconnu du grand public, qui tourne à l'écart des grands circuits depuis quarante ans.

Depuis trois ans, vous animez un atelier près de chez vous, dans le Maine-et-Loire, pour «restaurer le patrimoine chanté». On retrouve Le temps des cerises, Les feuilles mortes... Ce patrimoine est-il vraiment menacé?

Jacques Bertin. C'est clair! Les chansons que je suggère, «Comme à Ostende», de Léo Ferré, par exemple, vous ne les entendrez jamais à la radio ou à la télé. Il y a un gouffre énorme entre les chefs-d'œuvre et la chanson médiatique. Dans cet atelier, on avait cette année une gendarme belge, un chercheur du CNRS, un viticulteur, un fonctionnaire du ministère de la Culture à la retraite... Les amateurs de chanson que je fréquente sont des maquisards. Ils le savent. Ce sont des marginaux qui vivent la vraie marginalité: ils connaissent les chefs-d'œuvre.

Vous sentez-vous comme un dinosaure, le dernier spécimen d'une espèce en voie de disparition?

J. B. Il faudrait des siècles pour avoir la peau de la langue française. Depuis vingt ans, il y a une offensive contre la langue, une offensive du médiatisme, ce show-bizz mélangé à la télé, une offensive qui vient des élites... Comme une volonté de rabaisser la notion de «peuple français», je crois pour des raisons financières. Nos élites sont d'une effrayante nullité. Mais il y a des réalités humaines accrochées aux murs et aux sols. Le peuple, la culture ont la vie dure.

A Moulidars, vous chantez après du théâtre qui s'intéresse au Front Populaire... Que chanterez-vous?

J. B. Quand je suis seul à la guitare, je chante pour moitié mes chansons, pour l'autre moitié celles du répertoire, Aragon, Ferré, Cadou, «La commune est en lutte» de Jean-Roger Caussimon, «Les loupiots» d'Aristide Bruant, «La complainte du partisan»... Mais je ne les chante pas dans un esprit militant, plutôt pour chanter des belles chansons. Tout le monde est engagé, mais tout le monde n'est pas chanteur à textes.

Entre votre métier de journaliste et de chanteur, lequel est le plus sérieux?

J. B. J'ai été journaliste quand je n'avais pas d'autre moyen d'existence. En 1989, j'ai travaillé pour Politis. Pendant une douzaine d'années, j'ai découvert des choses, écrit des chroniques, fait du militantisme culturel que je n'aurais pas fait si j'étais resté seulement chanteur. C'est comme ça la vie. Mon père était tailleur d'habits en 1950. Quand les gens ont fini par acheter les vêtements sortant des usines, il est devenu représentant de commerce. Il n'y a pas de déshonneur à changer de direction. Mais le métier auquel je suis attaché, c'est chanteur. Parce que c'est d'abord un plaisir. J'ai connu une période à zéro, mais depuis trois ou quatre ans, je chante beaucoup et j'en vis.

Dans le DVD «Le chant d'un homme», vous parlez de la parenthèse miraculeuse des années 70 pour les chanteurs libres. Qu'avaient-elles de si miraculeuses?

J. B. Ces années-là, on a connu un fort développement de l'action socio-culturelle par les maisons de jeunes dont la première ressource était la chanson. Une génération de chanteurs à textes, poétiques, engagés a trouvé du travail et du public.
Dans les années 80, beaucoup d'argent a été investi dans la culture pour monter des gros festivals, des scènes nationales. Résultat: ce réseau associatif s'est écroulé, et aussi l'enthousiasme militant. La chanson française est aujourd'hui un produit industriel laissé aux industriels. Le ministère de la Culture ne s'en est jamais occupé et ne s'en occupera jamais.

Vous chantez Le retour à Chalonnes, votre pays, dans le Maine-et-Loire. Parler du local, c'est pour mieux toucher l'universel?

J. B. Il y a deux façons d'être universel. Soit vous gommez tous les particularismes et il ne reste plus qu'un propos désert. Soit vous parlez de là où vous êtes. Comme les films de John Ford qui parlent de l'Ouest, de la frontière américaine et qui permettent de se comparer. C'est le particularisme qui le rend émouvant et universel.

Céline Aucher