La Presse
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Jacques Bertin sans artifice
Jacques Bertin est, dans le sens le plus noble du terme, un artisan de la chanson. Un homme qui n'a pas abdiqué et qui chante encore avec sa guitare - et parfois accompagné par un pianiste - dans de petites boîtes sympathiques de la France ou du Québec. Il était récemment à Québec au café-théâtre Les Oiseaux de passage et il sera à Montréal, à l'amphithéâtre du Gesù, demain, avec sa guitare, sans artifice. Rien que ses mots, sa musique, celles des gens qu'il aime et son âme. Et pour bien se faire comprendre par tous les publics, le titre d'un nouvel album qui ressemble à un cri : No Surrender ! Le titre est évidemment anglais par dérision, Bertin ayant toujours su éviter les pièges du succès facile et de l'industrie du showbiz. À 59 ans, il n'est pas amer ou défait ; au contraire, il parle du bonheur de la chanson. «Non, la chanson authentique n'est pas menacée, dit-il au cours d'une conversation téléphonique. Quand le cinéma est arrivé, certains prétendaient que le théâtre allait disparaître, mais la chanson, comme le théâtre, est éternelle. Actuellement, la chanson, en France surtout, est à son niveau le plus bas et même les chanteurs de talent ne chantent pas parce qu'ils sont bouffés, ensevelis par la musique. C'est la théâtralité de la chanson qui importe maintenant. Les chanteurs parlent de leur show, de leur tenue de scène. Le bonheur du chant semble avoir disparu au profit de l'ultraprésence de la musique.» Sur disque, la voix de Bertin fait penser à celle de Ferré. Sa simplicité rappelle celle de Félix. Son mordant, lorsqu'il s'adresse à Dieu et lui parle «d'homme à homme» dans Miserere, nous ramène Jacques Brel. En 35 ans de carrière et avec 25 albums derrière lui, Jacques Bertin n'a pas beaucoup changé. Les thèmes varient, l'âge a donné un peu plus de poids à ses mots, mais l'authenticité demeure. On peut le reconnaître dans chacun de ses enregistrements. Aujourd'hui, il chante la mort, le temps qui s'efface, les femmes qui s'éloignent, les gens de l'ombre et... la chanson ! Sa magnifique pièce sur le sujet, Le Pouvoir du chant, dure près de neuf minutes. En plus de faire de la chanson, Jacques Bertin a été journaliste jusqu'à tout récemment alors qu'il était rédacteur en chef de l'hebdomadaire Politis. Il a également écrit la première biographie de Félix Leclerc, Le Roi heureux, éditée en 1987. Il a bien connu Félix, l'a rencontré à maintes reprises à l'île d'Orléans et s'en est manifestement inspiré. Tout comme Félix, il n'a jamais fait de concessions à l'industrie du spectacle. «Durant ma carrière, je n'ai presque jamais eu l'appui des médias, confie Bertin, mais je me suis organisé pour passer au travers. J'ai les adresses postales de 6000 personnes, tous des gens qui aiment ma musique, des «bertinistes» comme j'aime les appeler. Je vends mes disques par Internet ou par la poste. J'annonce également aux gens les lieux et les dates de mes spectacles, et mes salles sont toujours pleines. Mes albums sont offerts dans certains magasins, mais je vends plus de la moitié de mes enregistrements par correspondance.» Un artisan... _______________________________________
Jean Beaunoyer |