N° 72 - Printemps 2010
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Jacques Bertin, chanteur de Loire ?
En écoutant et réécoutant Jacques Bertin, une évidence nous saute aux oreilles : son attachement à la Loire et plus précisément à Chalonnes-sur-Loire. Nous avons donc voulu en savoir plus et sommes allés à sa rencontre par un beau dimanche de mars, à Bouchemaine, sur les bords de … la Maine. Prix du disque de l'académie Charles-Cros en 1967, il avait alors 21 ans, "Fine fleur de la chanson française" de Luc Bérimont, révélé au grand public en 1970 par son album "Fête étrange" (qui lui vaut d'apparaître dans "L'anthologie de la chanson française" de 1971), voici plus de quarante ans que Jacques Bertin creuse discrètement mais sûrement son sillon dans la poésie et la chanson de qualité. Nous l'avions découvert en 1975 à Orléans (invité alors par le Cercle laïque des Tourelles) et nous l'avons retrouvé en 2008 à l'occasion du troisième "Festival de Travers" : toujours la même présence, la même puissance du verbe, le même enchantement… Une seule différence : estimant que les jeux de jambes ne rajoutent rien à cette présence en scène, voire au contraire la parasitent, Jacques Bertin depuis sept ou huit ans chante assis : "Enlever les jambes ramène au texte", dit-il non sans humour, dans un de ses "mots" (1).
Breton, Vendéen, ou Angevin ? La famille de Jacques Bertin n'est pas originaire de l'Anjou. Ses racines familiales il faut aller les chercher du côté de la Bretagne (en pays Gallo exactement) pour ce qui est de ses grands-parents paternels et du côté vendéen pour ce qui est de ses grands-parents maternels. Ce n'est qu'en 1936 que ceux-ci vinrent s'établir à Chalonnes-sur-Loire. Jacques Bertin, quant à lui, est né à Rennes et a dû vivre sa jeunesse, si l'on en croit ses chansons, du côté de Louvigné-du-Désert, dans cette "paroisse, périphérie de la paix" où l'on attend les trains de Combourg et Dol. Contrairement à ce que l'on pourrait penser en écoutant Les Anglais bombardaient les ponts (où il est déjà question de la Loire et des Ponts-de-Cé) ses parents ne vivaient pas à Chalonnes. Ce coin de l'Anjou constitue néanmoins aujourd'hui un fort creuset de sa famille où sa mère, ses cousins, son fils ont choisi de vivre, et où lui-même est venu habiter en 2003. La Loire angevine
Peut-être même, la Loire est-elle source d'inspiration quand il écrit "Ici je crois entendre sourdre la nappe phréatique des chansons" ? Lui nous assure que non, que ce n'est qu'un environnement familier, rien de plus. La Loire côté "catho" Si Jacques Bertin est attaché à cette région, ce n'est pas uniquement en raison du fleuve mais aussi sans doute parce que la paisible ville de Chalonnes-sur-Loire est pour lui emblématique de toute une histoire qui l'a bercé et l'a vu grandir. Père militant à la JOC, mère militante à la JAC, il a en effet été porté par un courant d'éducation populaire aux reflets de catholicisme social. Et cela, il le revendique, n'hésitant pas à lancer quelques piques à l'adresse des adeptes de la pensée marxisante. Cette ambiance "milieu du XXème siècle" où le curé progressiste, la chorale paroissiale et la bibliothèque municipale cohabitent en toute harmonie (ou presque !), nous la retrouvons notamment dans son roman "Une affaire sensationnelle" paru en 2008. "Ce livre n'est pas un hymne à la Loire mais un hymne à la démocratie chrétienne" dit sans ambages Jacques Bertin. La Loire y est pourtant présente, presque à chaque page, et l'auteur y décrit avec beaucoup de sensibilité les relations que les hommes de ce pays entretiennent avec cette "femelle à peine apprivoisée", cette "maîtresse exigeante". Témoin ce très beau passage relatif à la crue :
Comme un Pays "Comme un pays", le dernier album de Jacques Bertin qui vient de sortir (5), nous offrant 12 chansons inédites, s'ouvre sur un superbe texte "La Loire" véritable déclaration d'amour au fleuve : "Loire bleue, flamme noire, femme d'acier, lame bleue, emmène-moi, partons où tu veux. Mauve et noire, en satin, en soie, en moire, où tu veux". Pourra-t-il toujours dire que la Loire, en tout cas "sa Loire", celle qui enlace l'île de Chalonnes, lui est indifférente ? Jacques Bertin a encore bien des projets : faire paraître un ouvrage sur le Québec, cet autre pays qu'il affectionne particulièrement, et vers lequel certains Chalonnais partirent à la fin du XIXème siècle (voire plus loin vers l'ouest canadien) (6), rendre hommage à l'équipe de la "Fine fleur de la chanson française" des années 70 : Jean-Max Brua, Gilles Elbaz, Jean-Luc Juvin, Jean Vasca et lui-même, dont hélas il ne reste plus que deux survivants. Souhaitons pour notre part qu'il continue à chanter la Loire, il le fait si bien. "Les grands poètes sont comme des fleuves silencieux", dit un certain Jacques Bertin…
Christian Chenault |