
7 février 2012
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Jacques Bertin
« Les traces des combats »
Une lecture de Jean-Noël Guéno
Une nuit d’insomnie, on plonge dans «
Les traces des combats » de Jacques Bertin et on n’en sort pas,
happé par les mots vibrants de ferveur.
La quatrième de couverture précise qu’il s’agit «seulement
d’un recueil» réunissant poèmes et chansons (1993
à 2010), non d’une œuvre, ni d’un manifeste. Pas de prétention
théorique donc, mais une voix qui dit la vie profonde, avec pudeur,
sans cacher cependant la douleur tenace de l’homme séparé,
déchiré, qui tente de recoudre les pièces multiples
du passé.
«La légende d’Anne-Marie», qui ouvre la partie
«Poèmes», avec les mots les plus simples, invente
et réinvente l’être aimé, le fait renaître par
la pureté du chant. «Je continue à te parler /
puisque bien sûr tu n’es pas morte / et sur l’eau du temps ma voix
porte / allant comme un oiseau blessé.» Ces quatre vers,
qui encadrent l’ensemble, donnent le ton. Douceur, écoute, silence
puis le cœur s’emballe dans un galop soudain : «Je pense
à tout ce qu’on fait quand on aime / comment on court la nuit,
comment on saute sur des mines / comment on arrête des trains /
comment on aime / et comme on aime ! » ou « que tu aies voulu
te détruire / que tu aies pris le mors aux dents / qu’en toi un
pays se déchire / que la panique du dedans / que tout cela la vie
en trop / qu’un refus qu’un cri qu’un appel / qu’en toi l’enfant hurle
et qu’il saigne / qu’araignée ou que musaraigne / peu importe –
je t’aime – trop !»
Des écritures diverses
Ces ruptures donnent au livre une force que ne possèdent pas les
recueils bien léchés, trop bien composés pour impressionner
le critique qui soulignera le sérieux du propos, la cohérence
de l’ouvrage. Mais la vie est foutraque, avec ses creux et ses bosses
et nos élans, nos passions, nos désespoirs... Aussi, on
retrouve, dans «Les traces des combats» , des
écritures diverses, laconiques ou très amples, qui tentent
de capter dans les méandres du labyrinthe la beauté envolée,
les émotions de l’amour enfui ou les raisons de vivre au présent.
L’humour, la gouaille, le ton narquois de la confidence désamorcent
aussi avec pudeur l’émotion trop forte, qui risque de se briser,
à son paroxysme.
Les combats de Jacques Bertin sont également des combats pour l’autre,
dans ce monde déshumanisé, implacable ; des combats
pour la dignité de tous.
«De l’homme, mettez-m’en ! mettez-m’en plus, mettez-m’en trop
mais mettez-m’en ! / mettez-m’en plein la gueule et plein la gibecière
/ (...) car pas de temps à perdre, à attendre. »,
« l’Homme un rien le détruit le mange».
Par avance, le poète accepte les sarcasmes des puissants et de
leur cour, de ceux qui ont trahi leurs idéaux de jeunesse pour
quelques médailles et accessits. Peu importe, ce n’est qu’éraflure
légère sur peau tannée de vieux lutteur ; la
vraie blessure, intérieure, profonde, s’apprivoise, elle, quotidiennement,
par un regard bienveillant, par les mots et le chant : «La
bonté. Aimons-nous. J’ai froid».
http://revue-texture.fr/spip.php?article494
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