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Que faire ?
Maintenant Jacques Bertin, comme un long fleuve sûr de ses méandres, chante de plus en plus lentement et de plus en plus intensément. Il semble avoir atteint l'embouchure de tous les sentiments. Sa voix n'a jamais sonné avec une telle intensité bouleversante. Revisitant quarante ans de chansons, Jacques Bertin nous apprend la fidélité et la ferveur. Cet extrait de concerts donnés à Paris en février
2007 est le juste reflet sonore du charisme de Bertin en concert. Là
on peut mesurer l'envoûtement de son chant porté par un très
long souffle. Art du chant, beauté profonde des mots, saisissement
de la langue Jacques Bertin, comme il y a quarante ans, est et demeure
le chanteur le plus essentiel de son temps, et de très loin.
Gil Pressnitzer |
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Que faire ?
On qualifierait volontiers l'enregistrement public de Jacques Bertin de Rive Gauche. Mais comme cela se passe dans une petite salle souterraine quelque part du côté de Bonne-Nouvelle (1)… on se contentera de souligner à quel point cette forme-là de la chanson, simplement intelligente et sensible, mélodique et vraiment chantée, imaginative autant que pudique, en un mot belle, est devenue exotique. Ce récital, jamais plus encombré que d'une voix, d'un piano
ou d'une guitare, ponctué d'applaudissements plus sincères
que tapageurs, est donc un peu d'un autre temps. D'un temps où
Jacques Bertin aura toujours un peu raté ce qu'on appelle le succès
mais au moins n'aura pas manqué sa vocation. Cet art de la chanson
qu'il considère aujourd'hui comme "galvaudé, détruit,
trahi, Sali par les variétés, le bruit, les décibels,
les hurlements, les fumigènes, tous ces comportements artificiels
et mécaniques, qui semblent vouloir arracher de notre culture ce
qui était une richesse inouïe, son trésor" et
qu'il restitue avec une sérénité classique d'honnête
troubadour du haut de ses quarante ans de carrière, reste aujourd'hui
convaincant. Avec dans un coin de ses actualités, Un enfant bleu
qui meurt tout doucement, ou bien plus loin des questions qui changent
effectivement du vacarme ambiant : Quand recevrons-nous des renforts,
mon âme ? (1) Enregistré en février 2007 dans la
petite salle du Théâtre du Gymnase-Marie Bell
J-F BOURGEOT |
Bertrand Dicale
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Jacques Bertin n’est pas un garçon de gaietés et de légèretés. Les hasards du rangement des disques fait retrouver Que faire ?, disque enregistré en public pour célébrer quarante ans de chanson, et paru à l’automne dernier (chez Velen). A peu près au même moment, me semble-t-il, était sorti Reviens, Draïssi !, recueil d’écrits sur la chanson, qui disaient l’homme pugnace, pessimiste, virulent. Il y a quelque chose d’obstinément immobile dans la chanson de Jacques Bertin, une fidélité opiniâtre à des valeurs, à des couleurs, à des intentions qui furent prospères et glorieuses il y a quelques lustres. Les lyrismes à la Ferré-Caussimon, l’ivresse verlainiste, le souvenir des héros de la génération précédente, le souci d’ébénisterie de la langue, la fraternité pour toute plume sachant rimer… Folie, évidemment, que cette chanson-là aux humeurs noires, rudes, venteuses, aux hauteurs intimidantes, aux raideurs presque moralisantes. Folie commerciale, cela tombe sous le sens. Mais folie aussi que d’offrir ces œuvres raides comme le marbre, et qu’il faut aborder avec un souffle d’oiseau de grand vol. Folie que de faire entendre une chanson si belle.
Bertrand Dicale |
Chorus N° 63
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Jacques Bertin : Que faire?
Quarante ans que chante Jacques Bertin ! Bertin l'écorché vigilant que l'on imagine très bien dans le rôle de ces patrouilleurs nocturnes arpentant les rues du Moyen-Age en répétant : "Dormez, bonnes gens, le guet veille sur vous". De sa maison en bord de Loire, à Chalonnes, le poète continue à envoyer des signaux aux vivants. Le précédent s'intitulait No surrender ! (Chorus 54, p. 57). Le dernier en date est un enregistrement live (Gymnase, février
2007, avec Laurent Desmurs aux claviers) dont le titre Que faire ?
peut se lire à discrétion. Comme une interrogation sur bilan,
par exemple, puisque les dix-huit chansons rassemblées là
ont été choisies pour illustrer la carrière du héraut.
Un choix vivement recommandable à ceux qui connaissent mal l'œuvre
magistrale du grand Jacques. Les autres seront comblés par ces
versions dépouillées d'absolues merveilles qui s'appellent
notamment La Jeune Fille blonde, Je voudrais une Fête
étrange et très calme, Paroisse, Donnez-moi
une femme triste. Essentiel et vital.
Jean Théfaine |
Sud Ouest
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ON A ÉCOUTÉ Jacques Bertin : Que faire?
On ne l'entendra sans doute pas sur les ondes, comme ses autres albums d'ailleurs, comme son frère d'âme, Allain Leprest. À moins que la profession se mêle de rendre hommage à Jacques Bertin (61 ans) de son vivant. En attendant cette reconnaissance, voilà un dernier opus, résumant partiellement quarante ans de chansons de celui que la critique plaçait en 1967 à la même table que Brel et Ferré. Ceux qui ne le connaissent pas encore pourront découvrir cet univers poétique, exigeant, proche d'un René-Guy Cadou ou d'un Luc Bérimont, à travers dix-huit textes jetés comme des cailloux blancs sur des chemins mélancoliques. De "Retour à Chalonnes" à "Les Biefs", en passant par "La Jeune Fille blonde" ou ce "Que faire ?" qui donne son titre à l'album, tous enregistrés en public au théâtre du Gymnase Marie-Bell à Paris. Il ne s'agit pas d'un testament. Juste un regard, en arrière,
entre l'automne et l'hiver. La voix est toujours envoûtante et l'écriture
émouvante. Celles d'un homme dont la carrière en marge démontre
que la chanson, n'en déplaise à Gainsbourg, n'est pas un
art mineur.
Alain Montanguon
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Place Publique
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Jacques Bertin : Que faire?
"J'ai toujours fait des chansons pour me parler ; c'est à dire à la fois pour m'exprimer - me débonder plutôt - et prendre conscience de moi-même. Mais, au fond, comme le disait Anouilh, 'Je n'ai rien à dire à tout le monde'. Je fais des oeuvres, cela n'est pas la même chose. Je travaille, je fignole, je fais de l'enluminure". Ainsi parlait Jacques Bertin en 2002, dans une longue interview menée par Marc Robine pour le magazine Chorus. Bertin, dont les "monologues" vibrent pourtant si juste, si fort et si personnellement au mitan de chacun de ceux qui l'écoutent. Bertin, quarante ans de carrière, vingt-cinq albums au compteur ; d'un côté l'admiration éblouie d'un noyau de fans inconditionnels, de l'autre la méconnaissance quasi totale du grand public. Avant d'évoquer le CD qui motive cette chronique, brève plongée en arrière. Nous sommes en 1967, Jacques Bertin, 20 ans, remporte le concours de la Fine Fleur de la chanson française et enregistre son premier 33 tours, aussitôt couronné par l'académie Charles Cros. La critique use de superlatifs pour qualifier le jeune homme, en qui certains voient le successeur de Brassens et de Trenet, voire - dixit Claude Fléouter dans Le Monde - "le plus important chanteur depuis Brel et Ferré". Une fameuse filiation qui pourrait en déstabiliser plus d'un. Pas Bertin qui, déjà, balaie d'un revers de main les sirènes du showbiz. La variété, et ce qu'elle suppose de compromission quand on brûle d'un inextinguible feu intérieur, très peu pour lui. Un temps, l'époque est pourtant accueillante à son chant ample et lyrique, porté par une voix chaude et fraternelle, d'une justesse exceptionnelle. Ceux qui, comme moi, en 1970, ont vu débarquer sur leur platine son troisième opus, Fête étrange, ne sont pas prêts d'oublier le grand frisson qui le parcourait. Puis il y eut, en 1974, ce chef d'œuvre qu'est À Besançon, avec ces titres-phares que sont Trois bouquets, Les grands poètes sont comme des fleuves silencieux, Voilà c'est cette nuit, ou encore J'ai peu de choses à dire. Depuis, la vie de Jacques Bertin n'a pas été un long fleuve tranquille. Marginalisé par le système, l'imprécateur au coeur immense, le rêveur de lendemains qui pourraient chanter, aurait pu couler cent fois. Sa barque de bois solidement calfatée n'a pas coulé et c'est debout, encore et toujours, qu'il continue à s'adresser à nous de son havre de Chalonnes, sur les bords de Loire. Et c'est une petite maison de production nantaise, Velen, qui lui sert de "haut-parleur" en éditant ses disques. Comme le dernier, Que faire ?, enregistré en public, du 6 au 11 février 2007, au théâtre parisien du Gymnase-Marie Bell. Un album pas tout à fait comme les autres puisqu'il revisite en dix-huit titres quarante ans de chanson. Bertin, comme d'habitude, est "à la pointe nue de l'averse", armé ici de sa seule guitare, soutenu là par les claviers de son complice Laurent Desmurs. Aucun arrangement cache-misère ne vient troubler la permanence du verbe qui s'écoule de clapotis en grondement. Cela commence avec Retour à Chalonnes et cela prend fin avec Les biefs. Entre ces deux ports flottent Trois bouquets, mais aussi ces absolues merveilles que sont Je voudrais une fête étrange et très calme, Paroisse, Donnez-moi une femme triste, La jeune fille blonde... On ne répétera jamais assez que Bertin est l'un de nos
plus grands poètes, proche cousin en harmonie crève-cœur
d'un René Guy Cadou, auquel il consacra un film. Pour mieux l'approcher,
on ne peut mieux vous conseiller qu'un autre film, Jacques Bertin,
le chant d'un homme, aujourd'hui disponible en DVD ; un sensible
portrait signé Philippe Lignières et Hélène
Morsly, agrémenté d'entretiens et d'un extrait de concert.
Des proches, comme l'écrivain Jean-Claude Guillebaud, ou le journaliste
Bernard Langlois - fondateur du périodique Politis, dont
Bertin dirigea la rubrique culturelle treize années durant - y
éclairent de leurs propos la figure d'un humain si humain que ses
"ailes de géant l'empêchent de marcher". Pour faire
bonne mesure, essayez de dénicher les deux derniers bouquins du
héraut : Chroniques du malin plaisir, compilation de
68 articles publiés dans Politis, et Reviens, Draissi, un
ensemble d'écrits sur la chanson. Bertin le rebelle, le pamphlétaire,
l'homme en colère, y est magistral. Pour ne pas dire indispensable.
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Politis
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Fidélité
[...] Fidélité, maître mot et pierre angulaire de la vie comme de l’œuvre de Bertin : à l’enfance, à la terre natale où coule la Loire, aux amis, aux amours, aux principes qui fondent une morale personnelle, aux engagements de la jeunesse ; fidélité dont le poète se demande s’il n’en a pas fait «beaucoup plus qu’il n’en faut» (sûrement, Jacques, mais ce «trop», s’il ne t’a pas rendu la vie facile, a eu sa raison d’être, qui est de compenser nos frivolités ordinaires, n’est-ce pas ?) ; fidélité aux «chants des hommes», que Bertin célèbre ici encore par le magnifique poème de Nazim Hikmet, avant le passage final des «biefs» qui clôt l’ouvrage ouvert par «le retour à Chalonnes» (on parlera peut-être un jour de «l’ermite de Chalonnes», comme on disait de cet autre récemment disparu en son refuge tout proche de Saint-Florent-le-Vieil). Écoutez donc le message adressé à notre époque débile : «Tout meurt, tu sais, d’aller trop vite …» Bertin, ou l’anti-Sarkozy, en somme.
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Une autre chanson |
Jacques
Bertin : Que faire?
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Sorties Vieux-Port |
Chanson
Et il donne les réponses - du moins il en suggère quelques-unes, celles du "montreur de monde à faire", justement ! qu'est le poète. Vous allez les entendre, ces réponses, dans une chanson nouvelle, l'une des dix-huit de ce disque, une chanson superbe où puiser énergie et espoir, enfin ! Pour le reste, le chanteur a réuni dans ce récital des chansons importantes écrites tout au long de ces quarante années : un florilège qui va de "Fête étrange" et de "Paroisse" à "Retour à Chalonnes" et à "La beauté du monde", en passant pas "Les biefs" et "La jeune fille blonde". S'ajoute "Les nouvelles du soir", un poème de Philippe Jaccottet par lui mis en musique. Il reprend en outre "Actualités" d'Albert Vidalie et Stéphane Golmann, "La ballade du passant" de Claude Semal et "Les chants des hommes" de Nazim Hikmet, musique d'André Grassi, que je vous citais en début d'émission. Le tout tantôt accompagné au piano par l'excellent Laurent Desmurs, tantôt au son de sa seule guitare. C'est beau, c'est du Bertin ! Jacques Bonnadier |