![]() Chorus N° 19 | JACQUES BERTIN Hôtel du Grand Retour Plus tourmenté que jamais, Jacques Bertin revient avec le cur en sang et l'âme à nu. Il saigne par tous les mots, meurtri, solitaire, vaincu mais debout grâce au verbe dressé. D'autant plus grandiose qu'il est déchiré. Cet Hôtel du Grand Retour, son dix-septième album, s'élève dans la légende, hors du temps, comme l'Hôtel d'Iroise récemment condamné, à la pointe du Raz. Il nous y accueille à tous les étages, avec ses fantômes féminins. Comme toujours, victime et rebelle, c'est à la femme qu'il décoche ses flèches et tend la main. Pour l'homme, il reste la fraternité sinon la complicité. La voix vibrante pousse parfois ses "r" jusqu'au roulement discret avec de la profondeur et des envolées magistrales. Le plus souvent les claviers soulignent agréablement des mélodies, qui tournent rond, où le jazz vient s'immiscer. Le jazz, mais aussi le free-jazz pour accompagner "La méchanceté", long fleuve de fièvre textuelle, chargé de mots incandescents; tandis que, quelques plages plus tôt, la voix du poète se goûte seule dans une "Pascaline" chantée a capella, comme on goûte la saveur amère de l'amour. Ici, un sax déchire le voile de la pudeur. Là, des percussions et des cordes graves, violoncelle et contrebasse, tissent des ambiances de tragi-comédie. Aux orchestrations de François Couturier et Laurent Desmurs vient s'adjoindre parfois la patte fidèle de Didier Levallet. Mais on ne saurait parler de Jacques Bertin sans évoquer son écriture à nulle autre pareille, simple et riche à la fois, sobre et puissante ("Il n'y a que les mots pour posséder les gens longtemps"). Au final, cet album du Grand Retour, un Bertin grand cru, est à classer juste à côté de Domaine de joie ou Permanence du fleuve. Michel Triohoreau |
Armor Magazine Mai 1997 | JACQUES BERTIN Hôtel du Grand Retour Jacques Bertin est l'un des plus grands de la chanson française et le prouve encore aujourd'hui avec son "Hôtel du Grand Retour". Un poète, je vous dis, qui ne paie pas de mine, qui oublie même parfois le contact pour dire simplement, mais avec une force exceptionnelle, ce que la chanson se doit de dire. La vie, dans sa plus grande liberté, voire dans sa dérive. Mais l'amour aussi, et tout ce qui fait que l'homme existe dans un monde dont la méchanceté refoule trop souvent l'espérance. Sous sa voix froide, Bertin est un homme de soleil et si la femme est parfois triste, si tous les amours se ressemblent, il n'oublie pas de nous dire l'espérance. Jacques Bertin, le Rennais, réussit là un enregistrement exceptionnel. C'est de l'or pur dans ses amours perdus et ses amours présents. Vous restez là devant les faits de la vie. Mais quel bonheur que cet auteur, quelle vérité ("Pascaline") et quelle beauté profonde. Bertin marque là l'écriture de la chanson universelle. A-G. Hamon |
Télérama 26 mars 1997 | JACQUES BERTIN Hôtel du Grand Retour Permanence du fleuve : c'est le titre d'un de ses albums, ce pourrait être celui donné à son voyage d'homme chantant. Hors des "majors", loin des clichés rebattus, Bertin inlassablement creuse le lit de sa poésie, y fait bouillonner de violentes beautés, affleurer de "l'or pur", cingler des bateaux qui dérivent sous le regard de femmes distraites. Langue superbe, sobrement articulée par une voix aux graves ardents, fêtée ici, comme toujours, par des amis remarquables (Levallet, Couturier, Larchet ) rompus aux syncopes du jazz. Un mode musical parfait pour ce chant qui ne se plie pas aux modèles déposés (couplet-refrain, instruments obéissant à la voix). De cette liberté savante naissent de puissantes évocations (Hôtel du grand retour) où l'amour sonne rien moins que mièvre; une brûlante patience de vivant (Vieil avare: "Savoir vivre de peu/ D'oiseaux, de baies, du produit maigre de l'attente"); des bilans furieux (Bar de la jetée à 20 heures, La Méchanceté ) où souffle une rage ferréienne. Grand souffle, rugissement d'un solitaire vigilant, guetté par des fidèles qui l'aident parfois à produire ses disques, attendent ses concerts comme ses chroniques de Politis, accompagnent cette trajectoire résolument irréductible. Anne-Marie Paquotte |
La Revue Nouvelle (Belgique) 1997 | JACQUES BERTIN Hôtel du Grand Retour Dans la nuit de la chambre d'hôtel, la petite loupiote rouge de la télévision, comme la lampe de l'icône ou la veilleuse qui chasse le noir des lits d'enfants, luit. Réveillé en sursaut, quelqu'un passe dans le couloir, de l'eau coule, un chien aboie dans la rue, la pièce menace de son poids d'inconnu, la grande masse sombre de l'armoire n'est pas à sa place habituelle, à la perpendiculaire de la fenêtre. Ces chambres, où l'on s'installe en passant, sans les habiter vraiment. Dans le calme revenu, le sommeil perdu, quelques vers, proches et intimes "Oh, s'il te plaît, reparle-moi de ces hôtels Le dernier disque du poète et chanteur Jacques Bertin, Hôtel du Grand Retour, évoque ces chambres d'hôtel anonymes et hospitalières, ces chambres où l'on se retrouve entre soi seul, chambre de vacances heureuses ou étapes de la vie qui fuit. Chambres de la mélancolie infinie, des défaites quotidiennes, de l'amour perdu encore une fois, chambres des miséricordes, des espoirs qui ne demandent qu'à revenir, du monde qui s'amenuise, de l'âge qui vient, " Toutes les révoltes éteintes "Je tiens La ballade de la visite au bout du monde de Jacques Bertin pour l'une des plus belles chansons françaises", disait, il y a quelques années, un présentateur de la RTBF en annonçant une série de concerts. Eh bien, mon cher, que ne programmiez-vous cette merveille où le voyageur, passant tard chez des amis -"La porte qu'on dirait depuis cent ans fermée/ S'ouvre et la menace des chiens se desserre"- leur dérobait un peu de soleil avant de prendre la fuite: "J'entre dans le premier hôtel, on me prend pour un fou Ignoré des médias, Bertin, qui est également responsable de la rubrique culture à Politis, n'en poursuit pas moins, depuis près de trente ans, son chemin de traverse. On s'en fout bien de ces médias, strass et paillettes, chaque fois qu'il chante, des gens sont là, au rendez-vous, spectacles chaleureux où l'on sent qu'aux premiers accords du piano, tous ont reconnu la chanson et qu'elle résonne déjà dans leurs têtes. Joëlle Kwaschin |